Leçons sur les origines du Front national

Comment le vote FN, inexistant il y a trente ans, s'est-il installé dans la vie politique française alors même que la xénophobie a beaucoup reculé dans la société ? Politologues et économistes livrent quelques réponses : primo, s'il rebondit, le FN n'est pas à son apogée, et bien moins fort que l'UDC en Suisse (30 %), le FPÖ-BZÖ en Autriche (29 %), ou le Frest en Norvège (23 %). Secundo, même si Marine Le Pen est plus sociale que son père, les leviers de l'extrême droite française sont au fond restés constants.C'est aux municipales de 1983 que Jean-Marie Le Pen connaît son premier succès en pointant la menace de l'immigration, devenue pour la permière fois un enjeu politique. « Avec la fermeture des frontières après la crise de 1974, fermeture adossée à une politique de regroupement familial, l'immigration a changé de nature », explique le politologue au Centre d'études européennes (CEE), Étienne Schweisguth. Du « travailleur immigré » tenu à l'écart de la cité, on passe à la « population immigrée », avec ses familles occupant des logements et fréquentant les écoles. Devenues visibles, donc. « Dans un pays qui, à la différence de nombreux pays européens, n'octroie la citoyenneté qu'à ceux qui acceptent de s'assimiler, les coutumes des Maghrébins sont alors vécues comme une menace pour le style de vie des Français », explique Hanspeter Kriesi, expert des droites radicales en Europe. Pour lui, pas de doute : « C'est bien la peur de la société multiculturelle qui, très tôt, nourrit le vote FN. » Et ce, ajoute le spécialiste du FN, Pierre Martin, « dans un contexte où, d'un côté, la gauche régularise massivement les sans-papiers, et où la droite classique, très déstabilisée par sa défaite de 1981, fait une campagne xénophobe lors des municipales de 1983, noue des alliances locales avec le FN en 1983, puis lors des cantonales de 1985. » Les européennes de 1984 « font ainsi apparaître une nouvelle géographie électorale de la droite, en rupture avec le passé, dit encore Pierre Martin. Une nouvelle carte qui colle à la fois avec celle de la répartition sur le territoire des Maghrébins et des Turcs, et avec celle de la progression de la délinquance. »François Mitterrand, qui veut profiter de l'émiettement des votes de droite, ouvre la télévision publique au tribun hors pair qu'est Jean-Marie Le Pen et introduit une dose de proportionnelle aux législatives de 1986. Le leader frontiste, qui occupent les ondes avec ses phrases chocs, rode sa doctrine : l'immigration présente une triple menace, contre l'identité nationale, contre la sécurité et contre l'emploi. La droite qui craint de perdre ces élections choisit de dédiaboliser le FN. Avec 9,8 % des voix, le FN remporte 35 sièges. Il impose l'immigration comme thème politique majeur et « réussit à faire ?passer au vote? une partie de la droite classique, mais aussi des artisans et commerçants et, quelques années plus tard, l'électorat ouvrier, note le politologue du CEE, Vincent Tiberj. Car le succès du FN tient aussi beaucoup à l'échec du PS au pouvoir, comme de la droite classique dans son rôle d'opposant ». Avec un Parti communiste et des syndicats affaiblis, les ouvriers se tournent vers le FN. « Après le tournant de la rigueur, les politiques économiques et sociales de gauche et de droite ont tant convergé qu'elles ont nourri le sentiment qu'il n'y avait plus de réelle différence entre les partis de gouvernement, dit Étienne Schweisguth. Résultat : le ?vote de classe? décline, mettant fin à la fidélité politique. Et il ne reste comme affrontement manichéen que le clivage entre la grande majorité électorale et la minorité d'extrême droite. »Et la crise ? « Les crises économiques et sociales profitent toujours aux droite radicales, reconnaît Hanspeter Kriesi. Mais c'est un contresens de croire que c'est leur véritable moteur. Aux Pays-Bas, au Danemark, en Norvège et en Suisse, l'envolée de la droite radicale s'est produite avant la crise. » « Si la hausse du chômage profite au FN, estime Pierre Martin, ce n'est que de manière indirecte : les échecs successifs des partis de gouvernement sur la lutte contre le chômage ont fini par décrédibiliser les élites, et libérer les électeurs. »Un vote FN porté uniquement par les débats de société ? Ce n'est peut-être pas si simple. En 2009, le statisticien Bernard Aubry et la démographe Michèle Tribalat publiaient dans la revue « Commentaire » un article sur « Les jeunes d'origine étrangère ». Ils montraient que, entre 1968 et 2005, la part des jeunes de moins de 18 ans avec au moins un parent d'origine étrangère était passée, en métropole, de 11,5 % à 18,5 %, et même de 16 % à 37 % en Île-de-France. Au point que les départements franciliens affichaient une concentration de jeunes d'origine étrangère très élevée, jusqu'à 57 % en Seine-Saint-Denis, et même plus de 70 % dans sept villes (dont Saint-Denis, La Courneuve, Aubervilliers ou Clichy-sous-Bois). Autant de villes où le FN a fait mieux que son score national au premier tour des cantonales.Des statistiques publiées en 2010 dans « Les Revenus et le Patrimoine des ménages » de l'Insee, montrent aussi que, dans le phénomène FN, tout ne relève peut-être pas du seul fantasme. Les économistes Philippe Lombardo et Jérôme Pujol chiffrent précisément la situation des immigrés venant du Maghreb et d'Afrique sub-saharienne : leur niveau de vie est inférieur de 42% à celui des non-immigrés, et 43 % d'entre eux sont en situation de pauvreté. Mais ils sont très aidés aussi : les prestations sociales assurent 21 % de leurs revenus, contre 5,1 % pour les non-immigrés et 5,4 % pour les immigrés venant d'Europe.L'analyse
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.