Émergents et émergés submergés

Quel est le problème des émergents, ex-pays en voie de développement, aujourd'hui ? Ils sont submergés. Par les capitaux des investisseurs internationaux. Eux qui réclamaient il y a encore quelques années l'aide du Nord, voient déferler sur le Sud des capitaux qui créent une surcroissance artificielle. La Thaïlande, en situation de quasi-guerre civile il y a encore quelques semaines, ne sait plus aujourd'hui comment stopper les torrents d'achats de bahts et d'actions sur la Bourse de Bangkok. Le Brésil partage le même problème et doit imposer des taxes à l'investissement pour freiner les ardeurs des étrangers. La Turquie, elle, ne fait rien pour stopper l'euphorie : elle savoure, non sans un certain esprit de revanche, le fait d'avoir été rejetée par l'Europe et d'être, heureusement pour elle, restée dans le camp des pays émergents. La Grèce est exsangue et doit son salut à la Chine, la Turquie émergente ne sait plus quoi faire de l'argent qui entre dans le pays. La Chine, elle-même, doit monter ses taux, pour la première fois depuis décembre 2007, pour tenter de freiner la progression des prix de l'immobilier (+ 9,7 % en septembre) et limiter un rebond boursier (+ 27 % depuis juillet) jugé trop spéculatif par les dirigeants chinois. Quel est le problème des pays développés (on peut même se demander si ce terme s'applique encore vraiment) ? Eux aussi sont submergés. Pas par les capitaux. Mais par les dettes. Et nous assistons, parmi les pays responsables (nous n'en faisons pas partie), à une surenchère d'austérité. L'Angleterre a découvert un Cameron churchillien et adepte de la méthode Merkel. Ce n'est pas un budget de rigueur, c'est un véritable budget de famine. Supprimer 500.000 fonctionnaires, limiter la générosité d'un État providence au bord de la faillite et couper les ailes de la défense n'ont pas, dans un pays qui, comme l'Allemagne, place la responsabilité commune au-dessus des intérêts individuels, mis un seul lycéen dans la rue ni provoqué la fermeture d'une seule station d'essence. Les États-Unis, eux, sont tétanisés dans un immobilisme préélectoral avant une déroute annoncée pour Barack Obama qui rendra le pays ingouvernable et donc encore plus vulnérable face à ses créanciers, pour la plupart des « émergents ». Les banques centrales des pays développés maintiennent sous la respiration artificielle du QE2 (« quantitative easing ») des économies fragiles. Les banques centrales des pays émergents ressortent de leurs vieux cartons l'arme du contrôle des changes qu'elles utilisaient naguère pour empêcher les fuites de capitaux. Ironie de l'histoire certes. Mais, surtout, une fois de plus, instinct grégaire des investisseurs. Ils brûlent ce qu'ils ont adoré et ils adorent ce qu'ils ont brûlé. Et la roue tournera. À nouveau. Dans un mois, un an ou trois ans.Les pays émergents ont de nombreux atouts. Inutile de le nier. Des atouts avouables et admirables pour lesquels nous avons le droit d'utiliser le terme de miracle. Mais d'autres qui le sont moins. À l'heure où l'arrière-garde française s'arc-boute sur la retraite à 60 ans, les seniors des pays émergents éjectés du monde du travail se retrouvent sans ressource, sans couverture sociale, sans un yuan, un real ou une roupie de retraite. Avec le vieillissement de la population, le fossé va se creuser entre les pays qui prennent en charge leurs retraités et ceux qui les laissent mourir sans ressource. Après l'avantage compétitif lié au dumping du coût du travail et à l'absence de couverture sociale, voici venue l'ère de l'avantage compétitif lié à la différence de traitement des retraités selon les pays et les zones économiques. Retraite à 60 ans (bientôt 62 ?) en France, 67 ans en Allemagne, 70 ans aux États-Unis. Pas de retraite en Inde, en Chine ou au Brésil. Voilà peut-être ce que saluent de façon cynique les marchés financiers...
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