L'entreprise nid d'espions

Va-t-on devenir tous paranos ? Quels que soient les tenants et les aboutissants de l'affaire d'espionnage industriel chez Renault, la question prend de la vigueur dans les entreprises. D'autant que l'histoire est loin d'être éclaircie. L'hypothèse la plus répandue serait que les trois cadres en question auraient été « tamponnés », comme on dit dans le milieu. C'est-à-dire harponnés sans réellement mesurer la gravité de leurs actes. Avec toujours le même hameçon : la flatterie de celui qui « cherche un regard d'expert ». On a beau avoir dans une entreprise tous les systèmes de sécurité ad hoc, on sait très bien que le maillon faible n'est pas là. Il est dans la psychologie humaine. À l'heure où la défiance entre salariés et patronat n'a jamais été aussi grande, où chaque cadre a le sentiment de travailler plus pour l'actionnaire que pour l'entreprise, la tentation existe de mettre des bâtons dans les roues de ceux qui passent pour des profiteurs. Mais aussi de signifier inconsciemment à un patron trop autoritaire son désaccord avec sa stratégie. Management « totalitaire »Certains observateurs du milieu automobile notent ainsi que le management « totalitaire » de Carlos Ghosn ne serait pas étranger à l'affaire Renault. Qu'en pratiquant la peur et l'exigence du petit doigt sur la couture du pantalon, il suscite de fortes envies de rébellions. Derrière la fuite, il y a plus souvent la volonté - parfois inconsciente - de se venger d'un système jugé injuste que d'être réellement malveillant. Au coeur de l'espionnage industriel, le facteur humain reste la variable la plus aléatoire et la plus dangereuse pour les entreprises. Les ressorts psychologiques sont multiples. Les Américains ont un acronyme pour les définir : MICE pour Monnaie, Idéologie, Compromission, Ego. Car, neuf fois sur dix, ce sont les salariés qui sont à l'origine des fuites, relatent les enquêteurs. Le risque serait alors de devenir parano. De se méfier des membres du comité de direction ou des salariés. Mieux vaut tenter de prévenir les motivations d'actes de trahison. Comment ? En repérant les opposants déclarés ou non, les râleurs de tout poil et les frustrés, en passant du temps avec eux pour écouter leurs récriminations. Des points parfois mineurs pour un dirigeant persuadé que ses idées s'imposeront d'elles-mêmes, mais majeurs en termes de psychologie humaine. Les personnes résistantes, parce qu'elles ne se sentent pas écoutées, cherchent à tester leur manager, en contournant les ordres, soit en ne les appliquant pas, soit en les appliquant au contraire à la lettre. Premier cran vers une forme de trahison. Ne rien faire ou ne rien dire constitue alors un constat que tout est permis mais confirme surtout à ces salariés que leur avis compte pour du beurre. Et peut les pousser au stade suivant dans la mauvaise direction. À noter que certaines catégories d'employés sont cependant plus sensibles que d'autres. Ainsi du commercial fâché qui part avec des fichiers clients. Du stagiaire qui tire sa fierté de coucher dans son mémoire plein d'infos sur l'entreprise et le met en ligne. De tous les cadres en mal de reconnaissance qui affichent dans les réseaux sociaux un profil avantageux avec moult détails sur les projets dont ils ont la charge. Même danger de ceux qui crânent à voix bien haute en première classe du TGV. Et n'allons pas croire que seules les grandes entreprises sont concernées : selon la DCRI, les PME-PMI représenteraient 71 % des entreprises espionnées. Reste donc chez elles aussi à sensibiliser intelligemment le personnel aux bons réflexes à adopter. Car la fuite peut aussi provenir d'une négligence humaine : portable laissé dans la voiture, clé USB égarée ou prêtée pour transmettre une présentation et qui se fait absorber ses dossiers en moins de deux minutes. Si l'affaire Renault peut avoir un aspect bénéfique, ce serait celui d'aider les directions d'entreprise à prendre (enfin) conscience que le savoir et le respect des individus sont des clés de succès.
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