évasion

Ces jours-ci, dans les rues de Budapest, la plupart des librairies arborent sur leurs vitrines de grandes affiches promotionnelles où apparaissent les portraits encadrés d'illustres écrivains. Au milieu de Charles Dickens, Salman Rushdie et Jane Austen trône l'auteur phare de la Hongrie : Sándor Márai (1900-1989) dont chacun des ouvrages est aujourd'hui encore un « best-seller ».Cette popularité, l'auteur des « Braises » - qui s'est suicidé en 1989 aux États-Unis -, l'avait connue dès ses débuts, dans les années 1930. Puis vint la guerre. Farouchement antifasciste, il continua d'écrire. Mais en 1948, après l'arrivée des Russes - qu'il raconte superbement avec un mélange d'espoir et d'inquiétude dans « Mémoires de Hongrie » -, la pression fut trop forte. Márai, écrivain « bourgeois » indésirable, quitte son pays natal. Ses livres sont interdits. Son nom s'efface des mémoires. Si Budapest dégage toujours un charme indéniable - la vue sur le Danube depuis la citadelle, les bains Gellert et leur architecture Art nouveau, l'imposante place des Héros... -, l'effervescence intellectuelle dépeinte par Márai dans ses premiers livres est retombée. Le quartier littéraire au centre de Pest s'est rempli de magasins de mode. Devant l'Opéra, le bâtiment qui abrita un temps le café Drechsten, rendez-vous incontournable des artistes, sera bientôt converti en hôtel de luxe. Le café New York (www.boscolohotels.com) que Márai décrit comme « la citadelle de la nouvelle littérature hongroise » où l'on pouvait croiser des « critiques armés de lances » s'est transformé en (magnifique) salon de thé pour le palace du même nom. Seul le bâtiment de l'ancien café Abbazia a gardé une fibre littéraire, qui abrite désormais la sympathique Librairie des Écrivains (Andrassy ùt. 45).Reste que quelques bastions résistent : le bistrot-restaurant Firkasz (« L'Écrivaillon », Tatra ùt. 18) où les articles de journaux tapissent les murs et où un pianiste couvre les discussions braillardes. Il y a aussi le café Central (www.centralkavehaz.hu) qui a tenté de conserver cette atmosphère d'antan. La salle est bruyante, le plafond d'où pendent de grands lustres Art déco atteint les cinq mètres, d'immenses vitres laissent entrevoir l'activité de la rue.C'est là que l'on rencontre Judith Jaki. Comme son père - neveu et exécuteur testamentaire de Márai -, elle travaille à la reconnaissance du travail de l'écrivain. La jeune femme explique que le regain d'intérêt pour Márai est né en France, grâce au travail de traduction des éditions Albin Michel qui, depuis 2000, sortent un nouveau livre chaque année. Au sujet de l'homme, elle parle d'un journaliste acharné, une personne de principes aussi, parfois dure. « Lors des repas de famille, raconte-t-elle, sa mère plaçait devant chaque assiette une étiquette avec la liste des sujets à ne pas aborder sous peine de voir Márai quitter la table. » Ceux-ci variaient suivant l'actualité. Mais durant la guerre, deux étaient inévitablement inscrits : la position des Allemands et la mort de son fils, survenue en 1939, quelques semaines après sa naissance.Sur son exil, elle ajoute que « ce qui l'a décidé n'était pas tant de ne pas pouvoir écrire ou parler, que de ne pouvoir se taire librement ». Le jour de son départ, il ne prévint personne. On sait depuis qu'il partit de l'appartement où il s'était réfugié après le bombardement de sa résidence principale (où aujourd'hui trône une statue de bronze à son effigie). De cet appartement, situé dans les hauteurs de Buda, la vue est magnifique. On aperçoit le Parlement, majestueux, qui borde le Danube, et les toits de la ville qui s'étend à l'infini. Ce fut la dernière fois qu'il vit ce panorama. Olivier Le Floc'h
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