L'Institut Pasteur en Chine

Vous êtes étudiant en sciences de la vie, vous vous destinez à être chercheur en biologie, et vous angoissez face à la pauvreté des débouchés en France ? Vous détenez un brevet pharmaceutique à fort potentiel, et vous vous demandez comment entrer sur le grand marché chinois ? Alors, pensez à la Chine, et en particulier à l'Institut Pasteur de Shanghai, qui a de grandes ambitions et bénéficie d'importants soutiens gouvernementaux. « La décennie 2010-2020 sera celle de la santé en Chine, affirme Irénée Robin, son directeur administratif et financier. Alors que le gouvernement travaille à une grande réforme de la Sécurité sociale, qu'il alloue de gros moyens à la recherche scientifique et notamment médicale, les dépenses de santé par habitant vont exploser. C'est bien le moment de venir. » Lorsqu'en 2002 apparaît à Hong Kong la pneumonie du syndrome respiratoire aigu sévère (Sras), le virus se propage d'abord en Chine, où il fera la plupart des victimes. Prenant conscience de sa faible capacité à répondre à l'urgence épidémiologique, le gouvernement chinois demande l'aide de la France, et obtiendra un engagement de Jacques Chirac fin 2003. En août 2004, un accord de partenariat stratégique prévoit la création d'un joint-venture entre l'Institut Pasteur, l'Académie des sciences et la ville de Shanghai.Alors que l'Académie des sciences s'est historiquement surtout investie dans la recherche fondamentale, la structure créée avec la France répond à la nouvelle stratégie du gouvernement chinois : pour que la recherche contribue à la croissance du pays, Pékin veut développer sur son sol les sciences appliquées qui répondent aux besoins actuels et futurs de la Chine. Il met d'importants moyens : « Avec sa capacité à mettre en place des plans stratégiques et à les mettre en oeuvre à la perfection, et sa capacité à se doter des équipements les plus sophistiqués, la Chine se révèle dans ce domaine plus moderne et progressive que l'Europe », explique Ralf Altmeyer, directeur général de l'Institut Pasteur de Shanghai. Mais la stratégie de la Chine repose aussi sur le retour au pays des chercheurs expatriés partis se former à l'étranger. Et exige une transformation des grands organismes chinois d'étude : leur sont assignés des objectifs de recherche précis, dont les résultats doivent être évalués tous les cinq ans. Une mission claire est assignée à l'Institut Pasteur : contribuer à l'amélioration du système de surveillance des maladies infectieuses ainsi qu'à l'invention sur place des vaccins et des thérapies ad hoc, par des accords de licence et des opérations de codéveloppement avec des industriels internationaux et chinois. En particulier dans les domaines qui rongent les forces vives du pays : le virus de l'hépatite B - pour lequel la Chine compte 100 millions de porteurs chroniques, soit la moitié des porteurs de la planète -, l'hépatite C (40 millions de porteurs), le cancer du foie parfois lié aux hépatites B et C, le sida, les infections respiratoires, et l'infection dite « pieds-mains-bouche » qui touche les enfants de moins de 10 ans, et se répand aujourd'hui à une vitesse non maîtrisée. En liaison permanente avec quatorze hôpitaux chinois, avec le réseau des Centers for Disease Control and Prevention (CDCP), et avec les 103 instituts de l'Académie des sciences, l'Institut Pasteur s'appuie aussi sur son réseau asiatique, qui s'étend de Shanghai à Nouméa, en passant par le Vietnam, le Cambodge, la Corée, Hong Kong et le Laos, et héberge le réseau de surveillance des épidémies Sisea ainsi que le réseau asiatique des maladies respiratoires Respari. Une intégration dans les réseaux existants qui lui assure une rapidité de réaction et de traitement. Avec ses seize équipes de recherche sur place, l'Institut Pasteur apporte son soutien technologique pour détecter et identifier en 24 heures, sur la base des prélèvements opérés sur les patients, les virus respiratoires. Opérationnel depuis cinq ans, l'Institut Pasteur de Shanghai a déjà mis au point une détection, en un seul diagnostic, de 17 virus respiratoires, et lancé le codéveloppement d'un vaccin contre l'infection « pieds-mains-bouche » en partenariat avec le laboratoire Hualan Biological Engineering. Mais il peine à recruter des chercheurs occidentaux, pour qui la barrière de la langue est souvent infranchissable.« Dotée d'une personnalité juridique indépendante, notre entité bénéficie d'une liberté contractuelle, et partant d'une certaine capacité de négociation », assure Ralf Altmeyer. Ce qui lui permet d'offrir à ses employés les plus méritants des salaires supérieurs à ceux de l'Académie des sciences. Et surtout d'avoir une vraie stratégie de croissance, appuyée sur les ressources abondantes de l'Académie des sciences : en 2012, l'Institut Pasteur de Shanghai sera installé dans des bâtiments flambant neufs, et trois fois plus grands qu'aujourd'hui, au coeur de la concession française. À cette date, ils seront occupés par 400 employés - contre 170 aujourd'hui -, qui animeront 30 équipes de recherche. Mais pour assurer son développement, l'Institut Pasteur de Shanghai projette surtout de se focaliser sur les partenariats de codéveloppement de médicaments et de vaccins avec l'industrie pharmaceutique mondiale. Dès la fin 2010, un incubateur-accélérateur de projets biotech va voir le jour, qui va inviter les sociétés de biotech étrangères, françaises, américaines, asiatiques ou australiennes, à développer leurs projets avec les CRO locaux, les fameux Contract Research Organizations telles que Wuxi Apptech, et à les produire en Chine. « Les entreprises ne doivent pas imaginer qu'elles pourront facilement exporter leurs médicaments ou vaccins en Chine depuis leur pays d'origine, estime Irénée Robin. Pour réussir, mieux vaut faire aussi la R&D en Chine. La stratégie actuelle du gouvernement chinois étant d'inventer, de développer et de produire localement les médicaments et vaccins que consommeront les Chinois, les entreprises étrangères qui sauront s'intégrer dans cette stratégie bénéficieront de toutes les aides pour cela. Elles auront la garantie que leur propriété intellectuelle sera protégée, car ils ont mis en place des mécanismes de protection qui marchent. » Sans craindre d'être accusé de favoriser les délocalisations de nos derniers centres de recherche vers la Chine, l'incubateur créé par l'Institut Pasteur de Shanghai s'apprête à offrir des services d'hébergement initial, d'aide à la rédaction des statuts en chinois, d'accès au financement local pour ses phases de recherche, d'accès aux informations épidémiologiques issues de son vaste réseau, de facilitateur pour obtenir les autorisations de mise sur le marché chinois, etc. Marchant sur les pas de la structure d'incubation parisienne Pasteur BioTop, l'Institut Pasteur de Shanghai entend bien ouvrir une nouvelle route vers la Chine. Valérie Segond
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