Dialogue social : de l'audace, encore de l'audace, et toujours de l'audace !

La méthode retenue par le président de la République et le gouvernement pour réformer le droit social et le marché du travail est sans aucun doute la plus à même de réussir sans tensions sociales. Chaque année, elle articule successivement une Conférence Sociale tripartite, qui permet au Ministre du Travail d\'élaborer la feuille de route d\'une négociation interprofessionnelle qui s\'étend ensuite sur la fin de l\'année pour aboutir, en cas de succès, à un Accord National Interprofessionnel (ANI) lui-même enfin transcrit dans le code du travail. Cette méthode est le mode opérationnel le plus à même de donner un rôle central au dialogue social et à ses acteurs, les partenaires sociaux, conformément à la loi Larcher du 31 janvier 2007 qui a transformé ces derniers en pré-législateurs. Des avancées modestesL\'an dernier, cette approche a abouti à l\'ANI du 11 janvier 2013, lui-même transcrit dans le code du travail par la loi du 14 juin 2013. Il s\'agit d\'un véritable succès, pour plusieurs raisons : la preuve est faite que l\'approche pouvait être payante et que les partenaires sociaux « jouaient pleinement le jeu » de façon responsable, et l\'ANI ainsi conclu porte des avancées effectives sur un très large spectre de thèmes sur lesquels les positions semblaient auparavant souvent bloquées. Pour autant, et comme nous l\'avons exprimé dans une précédente tribune, chacune de ces avancées demeure très modeste et, globalement, concerne davantage les moyennes et surtout les grandes entreprises que les petites.Il faudra une succession d\'ANIL\'ANI va dans la bonne direction d\'une réforme du droit social visant à le rendre à la fois plus protecteur pour les salariés et plus efficace sur le plan économique. Les critiques de remise en cause d\'avantages légalement consacrés peuvent être sinon écartées, tout au moins minimisées si on prend en compte que d\'une part ce sont les partenaires sociaux qui créent leur loi commune, d\'autre part sont échangés certains assouplissements destinés à favoriser efficacité économique, donc emploi, contre de nouvelles protections, y compris au bénéfice d\'outsiders. Mais il faudra une succession de nombreux ANI aussi ambitieux pour répondre aux besoins de l\'économie française et contribuer à lui éviter une longue trajectoire d\'affaiblissement, de paupérisation, de baisse de pouvoir d\'achat, de montée du chômage et de risques sociaux.Sur les retraites, une approche paramétriqueCette année, le choix des thèmes des six tables rondes thématiques de la Conférence Sociale pouvait laisser espérer de nouvelles avancées importantes : emploi et formation professionnelle, conditions de travail, filières d\'emploi, protection sociale et retraites, modèle de service public et Europe sociale. Pour autant, l\'ambition de l\'évènement a immédiatement était affaiblie sur chacun des principaux thèmes. Concernant les retraites, l\'approche a été présentée comme simplement paramétrique et visant à associer, par le changement de quelques coefficients, un ralentissement des pensions et une augmentation des contributions. L\'ambition d\'une fusion ou même d\'un rapprochement de la multitude de régimes, qui aboutit à une forte illisibilité et au sentiment d\'une grande iniquité, a d\'emblée été écartée. En outre, d\'autres éléments méritaient d\'être pris en considération comme l\'impact des fluctuations de l\'activité sur l\'ensemble de la vie professionnelle, la pénibilité au travail abordée de manière plus ambitieuse, sous l\'angle non seulement de la santé mais aussi de la qualité de vie au travail.De nombreuses offres de travail non satisfaitesConcernant l\'emploi, le constat de nombreuses offres de travail non satisfaites n\'a pas abouti à retenir - et c\'est dommage - comme thème essentiel celui des freins à la mobilité professionnelle et géographique des salariés. Ces freins, qui pourraient être levés pour certains par l\'introduction de nouvelles garanties sociales et pour d\'autres par des changements fiscaux, sont pourtant nombreux et facteurs d\'augmentation du chômage structurel.Concernant la formation professionnelle, le thème essentiel du financement des partenaires sociaux n\'a qu\'indirectement été évoqué. Or, chacun sait que la réforme de la formation professionnelle appelle d\'abord ou au moins simultanément celle du financement de la négociation collective et des partenaires sociaux, le Rapport Perruchot (2011) ayant bien montré à quel point la première contribuait au financement des seconds. Par ailleurs, la réforme de la formation professionnelle demande un changement d\'orientation : à l\'obligation de dépenser qui aboutit à un effort déployé vers ceux qui ont le besoin le moins urgent de formation, il faut substituer une mise en œuvre opérationnelle et organisée par les partenaires sociaux de l\'obligation, déjà inscrite dans le code du travail, du maintien et de l\'amélioration de l\'employabilité des actifs. L\'approche actuelle fait courir le risque d\'accords a minima, comme celui conclu par les partenaires sociaux en 2008. Et le plan de formation de 30 000 chômeurs d\'ici l\'automne annoncé par le Premier Ministre, s\'il est bienvenu, n\'est, comme d\'ailleurs les emplois aidés, qu\'une goutte d\'eau au regard du sous-emploi actuel et à venir en France.La question essentielle des conditions du dialogue socialLes conditions du dialogue social n\'ont pas fait l\'objet d\'une table ronde, mais ont été évoquées par le Président. Cette question est essentielle : le renforcement du rôle du dialogue social ne peut être effectif que si des réponses fortes sont apportées à trois questions : le financement des partenaires sociaux, déjà évoqué ; la représentativité des organisations patronales (ainsi, plus d\'un tiers de l\'économie est actuellement exclue de fait des négociations interprofessionnelles) ; la fragmentation des branches, qui bride souvent une réelle négociation collective à ce niveau, est vectrice de mauvaise qualité du tissu conventionnel et se traduit par un coût excessif de sa construction. Enfin, sinon surtout, une réflexion de fond sur la force contractuelle des accords collectifs, vis-à-vis tant de la réglementation que du contrat de travail, n\'a même pas été évoquée. Or, si l\'on veut donner aux acteurs de la négociation collective le plus d\'espace pour conclure des compromis locaux équilibrés, cette réflexion sur l\'articulation des différents niveaux de normes est indispensable. Sans cela, comme nous l\'avons montré dans de précédents travaux, la réforme du marché du travail demeurera thématique, sans cohérence d\'ensemble et sans souffle.Il revient maintenant au Gouvernement d\'élaborer la feuille de route de la prochaine négociation interprofessionnelle. N\'excluons pas a priori que, à cette étape, l\'audace sera au rendez-vous des enjeux de notre pays. *Jacques Barthelemy est avocat conseil en droit social, ancien Professeur associé à la Faculté de droit de Montpellier.  Gilbert Cette est économiste, professeur associé à l\'Université d\'Aix-Marseille (GREQAM)
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