Il vient d'être distingué par le magazine américain « Time » parmi les 100 personnes les plus influentes du monde. A 36 ans, Tristan Lecomte n'en tire aucune gloire personnelle. Ce pionnier du commerce équitable (il fonde Alter Eco en 1998) considère cette reconnaissance comme collective. « C'est celle des petits producteurs pauvres du monde dont la cause est ainsi mise en avant », juge-t-il, convaincu qu'« ils sont des exemples pour notre société en quête de sens. Ils nous inspirent par leurs valeurs humaines : l'humilité, l'esprit de sacrifice, la solidarité, et l'espoir que chacun peut, à son niveau, changer le monde ». Changer le monde ? C'est ainsi que Tristan Lecomte résume la mission d'Alter Eco. Un « combat » qui, pense-t-il, n'en est encore qu'à ses débuts. Selon lui, on parle trop, on n'agit pas assez. Pire : on se moque des consommateurs en prônant des démarches qui n'ont d'équitables que le nom. Il souhaite « que tout le commerce devienne ainsi - pas uniquement quelques produits pour des parts de marché encore inférieures à 5 % ». Utopiste, Tristan Lecomte ? Doux rêveur ? Ne pas se fier à sa gueule d'ange. Cet HEC garde les pieds dans les rizières, toujours parti sur le terrain, vivant au milieu des « petits producteurs  ». « Nos produits sont le fruit de leur travail manuel. Nous achetons les ingrédients (café, thé, cacao, sucre, jus de fruits) en moyenne 43 % plus cher que le marché et entretenons des relations de long terme avec leurs organisations », argumente-t-il. Résultat : cela leur permet de réinvestir dans leurs champs, dans la préservation de l'environnement et de miser sur la qualité. Dernier projet en date : Tristan Lecomte se bat au Pérou et en Bolivie avec les indiens pour les aider à conserver 30.000 hectares de forêt qui leur appartiennent, et planche avec eux sur un projet d'écotourisme. Le chef du village lui a même demandé d'être le parrain de son fils. S'il est bientôt papa, sa vraie famille est là-bas : « Ils sont un milliard dans le monde, alors que le commerce équitable ne touche à ce jour qu'un million d'entre eux et ne représente toujours que 0,01 % du commerce mondial. La tâche reste immense. » Pas de look de manager, une silhouette d'éternel adolescent, il impose pourtant le respect dans la grande distribution. Michel-Édouard Leclerc est parti plus d'une fois avec lui et en revient à chaque fois un peu plus séduit, un peu plus convaincu, surtout. Hubert Hémard, directeur marketing et achat de Monoprix, converti de la première heure, le juge « très rassurant » et apprécie « sa vision claire dont il ne s'écarte jamais ». Il faut dire que notre jeune homme ne manque pas d'idéal : « Le véritable changement passe par une démarche intérieure et individuelle : croire que, face à l'immensité des enjeux globaux, on peut commencer à agir, chacun au niveau local et dans sa vie de tous les jours. Notre Caddie est un bulletin de vote. » Son mode de management est dans la droite ligne de ses valeurs. Chez Alter Eco, à Paris, il démarre ses réunions par un moment de méditation, offre à ses salariés des séances de massage ayurvédique et des cours de yoga, et encourage la participation de tous. Cela a l'air de rendre ses salariés plutôt heureux : « On se sent dans une entreprise différente, qui prend soin de nous », témoigne Kaïna, responsable import-export. Critique et distancié envers la consommation à outrance, ce patron - qui signe ses mails « militant du bonheur » - fustige le profit individuel et prône un capitalisme « conscient » dans lequel les individus seraient mieux reliés les uns aux autres et plus connectés à la nature. Rien d'étonnant alors que cet « engag頻 ne soit pas tout à fait dupe de la distinction du « Time » : « Espérons qu'un jour ce ?titre? sera réellement justifié à travers un commerce plus juste. » Ce jour-là, peut-être Tristan Lecomte acceptera-t-il d'être reconnu comme réellement influent.

latribune.fr

26 Juill 2010, 15:30

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