Matières premières : les effets pervers des indices

Pourquoi les cours du soja montent-ils lorsque le pétrole flambe ? Les deux matières premières n'ont pas grand-chose en commun. Certes, il faut des dérivés du pétrole pour fabriquer des engrais, faire le plein du tracteur qui récoltera l'oléagineux. Mais très peu par rapport à la structure de coût d'un boisseau de soja. Le seul véritable point commun entre soja et pétrole est qu'ils appartiennent tous deux aux indices S&P GSCI et DJ AIG, qui rassemblent chacun une vingtaine de matières premières cotées. Et que ces indices, qui attirent de plus en plus de capitaux, pèsent désormais bien lourd dans l'évolution des cours du jus d'orange, de l'essence ou du blé. « C'est un phénomène impressionnant : il y a dix ans, les matières premières n'avaient rien à voir les unes avec les autres. Maintenant, elles évoluent de concert. Même chose pour le dollar : le lien est devenu très fort, alors qu'il était symbolique », avance Wei Xiong, professeur à l'université de Princeton, et coauteur d'un opus (*) sur le sujet avec Ke Tang, de la Renmin University of China. En 2003, seulement 15 milliards de dollars étaient investis sur les indices de matières premières ; le montant des fonds consacrés au secteur a explosé pour atteindre 200 milliards mi-2008. « Il y a eu une véritable transition économique des marchés de matières premières, qui est passée inaperçue », avance Wei Xiong. Plutôt que d'évoluer en fonction de l'offre, la demande et la situation des stocks, les matières premières évoluent désormais en rang serré d'une part, et au mépris de leur propre marché. « Les flux de capitaux qui arrivent sur les matières premières ne sont plus orientés par les fondamentaux du soja ou du pétrole », constate M. Xiong. Ainsi un fonds de pension qui a décidé d'engager 10 % de ses actifs sur les matières premières devra réduire son exposition aux commodities si les marchés actions s'effondrent. La classe d'actifs subit ainsi, par capillarité, la volatilité des autres marchés. Pourtant, la lecture que les acteurs font des variations des cours des matières premières n'a pas changé. Et pourtant « aujourd'hui, le pétrole est en train de grimper. Ce qui ne veut pas nécessairement dire que l'économie mondiale est robuste. La hausse des cours du pétrole reflète simplement la hausse de la demande de pétrole en tant que véhicule d'investissement », assure le professeur. C'est exactement ce qui s'est passé au premier semestre 2008 : le ralentissement de l'économie s'est déroulé durant la poussée de fièvre des cours de matières premières. n (*) « Index Investing and the Financialization of Commodities », Princeton University.En 2003, 15 milliards de dollars étaient investis sur les indices de matières premières ; mi-2008 200 milliards.
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