Les Britanniques aiment détester

« N'écrivez pas une pièce où les banquiers sont des m? Ce serait écrire ce que tout le monde pense. » Le conseil vient de la bouche d'un grand banquier d'affaires. Il a été adressé à David Hare, un dramaturge britannique, quand il préparait une pièce de théâtre sur les origines de la crise financière. Il résume aussi parfaitement l'opinion britannique, qui fait désormais des banquiers des personnages haïs, responsables de tous les maux. Fred Goodwin, ancien patron de Royal Bank of Scotland, dont la maison a été vandalisée en mars dernier, n'a-t-il pas été qualifié de « pire banquier du monde » par « Newsweek » fin 2008 ? Contrairement à la France, où les financiers ont rarement eu bonne presse, le phénomène est nouveau en Grande-Bretagne : avant la crise, la City était cet endroit certes un peu étrange et incompréhensible, mais dominé par des maîtres de l'univers intouchables.La pièce de David Hare, « The Power of Yes », se joue désormais tous les soirs au National Theatre de Londres face à une salle comble. Elle met en scène les entretiens que le dramaturge a eus avec de grands noms de la finance, de George Soros à Adair Turner, le président de la Financial Services Authority (FSA), le régulateur financier britannique. David Hare et ses interlocuteurs, interprétés par des comédiens, dissèquent cliniquement les racines de la crise. À la sortie de la salle, un groupe d'adolescents manifeste sa colère. « Je ne travaillerai jamais à la Bourse », s'énerve l'un d'entre eux. « Les banquiers ont un système de valeurs complètement différent du nôtre », ajoute un second. Huw, la cinquantaine, résume l'opinion britannique : « Avant la crise, nous doutions de l'arrogance des banquiers. Maintenant, nous en sommes sûrs. » La crise a changé l'image de la City en Grande-Bretagne. C'est vrai politiquement. En 2006, Gordon Brown ne lésinait pas sur les éloges : « Nous avons eu raison de développer un système ?light-touch? : juste, proportionné, prévisible et basé sur les risques. » Fin 2009, il était passé aux menaces : « Nous ne permettrons plus que l'avidité et l'imprudence mettent à nouveau en danger l'économie mondiale. » Le changement de ton est vrai également chez les technocrates. Adair Turner, le président de la FSA, a fait date l'été dernier en déclarant qu'une partie des activités de la City était « socialement inutile ». Le changement a aussi lieu dans les arts. Outre la pièce jouée au National Theatre, les banquiers sont devenus la caricature des « vilains ». Lors des spectacles de guignols de fin d'année, très populaires en Grande-Bretagne, les méchants portent désormais un costume à rayures. La publicité s'est aussi emparée du phénomène. Le cidre Strongbow a fait rire plus d'un Britannique aux dépens des banquiers. Dans son clip, une foule de travailleurs se voit remonter le moral par leur chef, qui leur rappelle leur utilité : « Rufus, tu construis des toits pour nos familles, et toi, tu nous fournis à manger? » En arrivant face aux banquiers, le chef s'arrête, ne trouvant rien à dire : les vieux messieurs cravatés sont alors expulsés de la foule, sous les huées.Charles Peattie et Russell Taylor s'y connaissent en banquiers : ils en dessinent depuis vingt ans. Leur héros, un financier dénommé Alex, paraît tous les jours en une du cahier économie du « Daily Telegraph » : il y étale son cynisme, son avidité au gain, et ses tours pour faire passer abusivement des notes de frais. « Cela fait vingt ans qu'on expose la vraie nature des banquiers et les gens sont enfin d'accord avec nous », se réjouit Charles Peattie. Leur inspiration pour leurs histoires qui tiennent en quatre bulles quotidiennes vient de leurs très nombreux contacts au coeur de la City. Ils partagent déjeuners et cocktails avec les banquiers, en leur garantissant l'anonymat, et racontent les anecdotes récoltées sous les traits d'Alex. « Aujourd'hui, les banquiers se sentent menacés, raconte Russell Taylor. Lors des dîners, les banquiers préfèrent dire aux gens qu'ils ne connaissent pas qu'ils sont des conseillers financiers. » Ces deux outsiders de la finance se frottent les mains. Les ventes de leurs livres ont progressé grâce à la crise. Rire aux dépens de la City fait désormais recette. Éric Albert, à LondresAutrefois élevés au rang de maîtres de l'univers, les banquiers sont devenus des personnages malmenés en Grande-Bretagne, que ce soit par les politiciens, les technocrates ou les artistes.
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