Derrière les mots de Guillaume Bachelay

Le Parti socialiste n'a pas voulu laisser le champ libre au gouvernement, et surtout à Nicolas Sarkozy, sur la question de la désindustralisation de la France. Un thème qui devient de plus en plus politique au fur et à mesure des annonces de fermetures d'usines et sur lequel le chef de l'État s'est très tôt engagé. Dans sa volonté affichée d'« arrêter les délocalisations, et, si possible, de relocaliser «, il a lancé, sous la houlette du ministre de l'Industrie, Christian Estrosi, un large débat sur l'avenir de l'industrie en octobre dernier. Une vaste consultation : 5.000 participants, 200 réunions, pour aboutir à 800 propositions présentées le 1er février, et dont le chef de l'État tirera les conclusions jeudi prochain lors des états généraux de l'industrie. Martine Aubry lui a donc grillé la politesse en présentant, le 22 février, 54 propositions en faveur de l'industrie. Un document assez décoiffant où l'on peut lire en introduction, sous la plume de Guillaume Bachelay, un proche de Laurent Fabius, que «  face au protectionnisme pratiqué par les États-Unis et des pays émergents [...], de nouvelles règles d'équité et de réciprocité doivent prévaloir. L'Europe doit instaurer des écluses sociales et environnementales pour rétablir les conditions d'un juste échange ». Une façon d'ouvrir, sans le dire ouvertement, le débat sur un « nouveau » protectionnisme comme une des solutions à la crise. Et de répondre à Nicolas Sarkozy. Le président multiplie depuis deux ans les déclarations fracassantes sur le thème : « Arrêtons les délocalisations et relocalisons. » Il a évoqué lui-même l'idée d'une taxe carbone aux frontières de l'Europe, s'est prononcé lors de la campagne de 2007 pour un renforcement de la préférence communautaire et, plus récemment, à Davos, devant un parterre de patrons de multinationales, pour que les normes de l'Organisation internationale du travail soient appliquées dans le cadre de l'OMC. Christian Stoffaes, membre du Cercle des économistes, professeur à Paris 2-Panthéon-Assas.Jusqu'à récemment, il était politiquement incorrect d'évoquer la moindre nuance de protectionnisme. C'était un mot imprononçable et un débat interdit que seuls quelques marginaux ou économistes isolés s'autorisaient à aborder. Mais avec la crise, le débat est incontestablement en train de monter et pourrait se trouver légitimé de facto. Le fait qu'un grand parti, le PS, auparavant plutôt acquis aux thèses du libre-échange, se mette, à l'instar de Nicolas Sarkozy, à employer des mots comme ceux-ci, c'est une rupture historique. Le choix des mots est d'ailleurs très révélateur. On évite d'employer le mot « protectionnisme », alors on utilise des périphrases : le mot « écluses » pour ne pas dire « digues », parce qu'une écluse, cela peut s'ouvrir. Les vestales du libre-échange fustigent tout manquement à la doctrine : Raymond Barre, il y a trente ans, s'était attiré une volée de bois vert en parlant de « libre-échange organis頻... Le lobby libre échangiste est puissant et on va voir comment il va réagir. Néanmoins, le vrai débat est plus aux États-Unis qu'en Europe. Il porte sur la question de l'énergie et du climat, avec un bras de fer Etats-Unis-Chine sur les échanges de quotas de CO2. Le deuxième prétexte est le taux de change : comme le yuan chinois est gravement sous-évalué, ce que les autorités chinoises se refusent à reconnaître, la tension politique entre les deux pays va s'amplifier, notamment au Congrès américain. On a bien vu que la Chine a très peu souffert du recul du commerce mondial pendant la crise. Mais on sait bien pour autant que prendre des mesures protectionnistes ou commencer à en faire une théorie, c'est le début des ennuis. Le problème du protectionnisme, ce sont les rétorsions. Dans les années 1930, après les premières lois américaines imposant des droits de douane, le commerce États-Unis-Europe a chuté des deux tiers.Lionel Stoléru, économiste, ancien secrétaire d'État. Le problème n'est ni social ni écologique : il est économique. Il faut arrêter de se tromper de combat et voir que la montée en puissance de l'Asie est en train de détruire tout le tissu industriel des pays occidentaux. Ce n'est plus une question de dumping social, ou de distorsions de concurrence, mais bien de concurrents de plus en plus talentueux et redoutables qui font certes le bonheur de nos consommateurs mais qui détruisent en masse nos emplois, notamment dans l'industrie. Si la crise financière a pu réhabiliter le rôle de régulation de l'État dans l'économie, elle n'a pas eu raison du tabou sur le libre-échange. Le G2O s'est contenté de condamner le protectionnisme en se gardant toutefois de vanter les mérites du libre-échange. L'urgence est de bien résorber les déséquilibres commerciaux croissants entre l'Occident et l'Orient. Mais au préalable, il faudrait que nous changions notre regard sur les économies émergentes, trop souvent caricaturées en simples usines de sous-traitance à bas coûts. Ce n'est évidemment pas la réalité et il nous faut dialoguer d'égal à égal. Le moment est donc venu pour créer un dialogue commercial, un G4 - États-Unis, l'Europe, l'Inde et la Chine - pour tenter de trouver des solutions qui ne passent pas par des quotas ou des taxes, mais par une nouvelle régulation du commerce international. Chacune des grandes puissances doit comprendre qu'il est de l'intérêt de tous, y compris des Chinois et des Indiens, s'ils veulent trouver en Occident un pouvoir d'achat capable durablement d'acheter leurs produits. Entre protectionnisme et libre-échange, il faut trouver la voie d'une croissance soutenable du commerce international.Marc Crapez, chercheur en science politique à Sophiapol (Paris X). Dernier ouvrage paru : « un Besoin de certitudes. Anatomie des crises actuelles », Michalon Éditions. Nous assistons à un infléchissement du Parti socialiste sur les questions économiques. Jusqu'ici, les socialistes ont été intellectuellement proches du social-libéralisme mais le discours change à la faveur de la crise, présentée comme l'échec du libéralisme et de la mondialisation. Toutefois, entre quelques restrictions au libre-échange et le protectionnisme, il existe une marge suffisante pour adapter le discours aux réalités. Si la théorie économique soutient que le protectionnisme est un frein à la concurrence et à l'innovation, elle n'exclut pas pour autant des mesures transitoires pour aider industries naissantes ou... finissantes. Ce qui est nouveau, et pas propre à la gauche, c'est une certaine remise en cause du dogme du libre-échange. Le débat est clairement posé à gauche comme à droite, où certains sont sensibles aux conséquences de l'ouverture des marchés sur la désindustrialisation de la France. À ce titre, il existe une certaine convergence d'analyse. Cette remise en cause n'est pas mauvaise en soi. La question du protectionnisme mérite d'être débattue. Le libéralisme, c'est aussi la libre pensée. C'est vrai qu'il existe un danger de spirale protectionniste. Mais c'est faux de le présenter comme une menace inéluctable. De plus, renoncer d'avance à toute modulation du libre-échange est une abdication. Si vous ne gardez pas la menace latente de rétorsions protectionnistes, vous n'êtes plus une entité politique que l'on respecte et tout le monde marche sur vos plates-bandes. Jusqu'à présent, la crise n'a pas fragilisé le libre-échange, car les initiatives protectionnistes sont restées ciblées et infimes. Finalement, c'est moins le protectionnisme en tant que solution d'après-crise qui risque d'émerger qu'une certaine remise en cause des avantages de la mondialisation sous l'effet de contraintes écologiques ou énergétiques. Les débordements constatés lors de la crise pourraient favoriser une reterritorialisation des échanges. Le capitalisme n'est pas un système inerte, encore moins dogmatique. Olivier Pastré, professeur d'économie à l'université Paris VIII, coauteur avec Patrick Artus de « Sorties de crise», Éditions Perrin.S'il faut invoquer le protectionnisme, le mieux est tout d'abord de ne pas en parler. À gauche comme à droite, on a toujours tendance à faire des déclarations spectaculaires, avec pour seul effet d'exaspérer nos partenaires et d'accréditer l'idée à l'étranger d'une France protectionniste, alors que nous le sommes en réalité très peu. Les déclarations vertueuses en faveur du libre-échange se sont certes multipliées lors des derniers sommets du G20, sauf que 17 pays du groupe ont mis parallèlement en place des mesures clairement protectionnistes, même si leur ampleur reste limitée. Ensuite, la question du protectionnisme ne peut évidemment pas être traitée sur un plan strictement national. C'est au moins une question européenne. Or, je ne vois rien chez nos partenaires européens qui pourrait laisser penser que le débat sur la préférence communautaire soit à nouveau ouvert. Cela étant dit, la meilleure protection reste l'attaque. Et plutôt que de réfléchir à la mise en oeuvre de filières industrielles bien à l'abri derrières nos frontières, il faudrait davantage penser à renforcer les fonds propres et la compétitivité de nos entreprises, surtout les PME, ou certains outils, comme le Fonds stratégique d'investissement pour soutenir les entreprises innovantes. Enfin, le débat sur le protectionnisme ne doit pas être occulté pour autant car il prend désormais des formes de plus en plus sophistiquées qui peuvent être monétaires, sociales ou environnementales. Il est temps que toutes ces questions soient traitées à un niveau multilatéral mais également bilatéral pour éviter un engrenage de mesures de rétorsion qui conduirait à un protectionnisme généralisé comme dans les années 1930. Nous en sommes encore loin, mais il faudra bien accepter l'idée de mesures transitoires, à condition qu'elles soient transparentes. Pierre-Alain Muet, économiste, député PS du Rhône Les socialistes n'ont jamais été favorables au libre-échange sans règles. Mais afficher une volonté de rétablir les conditions d'un juste échange ne peut être assimilé à une politique protectionniste. Le protectionnisme pénalise en effet tout ce qui provient de l'étranger. Or, les écluses envisagées, autrement dit des taxes, ne s'appliqueraient aux seuls produits importés qui ne respecteraient pas des normes sociales ou environnementales. Non seulement il faut pénaliser les entreprises qui ne respectent pas les règles internationales, mais il faut inclure ce dispositif dans un système global d'aide au développement. L'Europe affiche une avance technologique et sociale par rapport au reste du monde, il faut qu'elle se montre également généreuse en transfert de savoir-faire et de technologies. L'objectif premier n'est donc pas de combler des déséquilibres commerciaux ou de protéger nos entreprises de la concurrence internationale, mais bien de promouvoir une mondialisation plus respectueuse des droits environnementaux et sociaux, en un mot une mondialisation responsable. C'est une conception qui doit s'imposer à tous, y compris au sein de l'OMC. Les droits sociaux et environnementaux doivent prévaloir sur tous les autres.
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