Cahuzac dédouane l'administration fiscale... et ne dit rien de plus

La voix basse, le ton traînant, comme accablé, Jérôme Cahuzac a juré de dire toute la vérité. Puis, sur le même registre, il a répondu ce mercredi aux questions de la commission d\'enquête parlementaire sur la gestion par l\'administration fiscale de « son » affaire. Répondu est un bien grand mot, car l\'ex ministre du Budget a fait montre d\'une grande capacité à garder le silence, sur le fond de l\'affaire, il est vrai entre les mains de la justice. Il a justifié son mutisme par la séparation des pouvoirs, rappelée par le rapporteur de la commission, le député Alain Claeys (PS), qui lui a offert un boulevard : la commission parlementaire ne peut pas empiéter sur l\'enquête judiciaire en cours. Quand Charles de Courson, président de la commission d\'enquête (UDI), lui pose une question clé : \"Avez-vous, oui ou non, un compte à la compagnie financière Reyl dans la période sous revue, c\'est-à-dire entre 2006 et 2012 ? Jérôme Cahuzac déroule sa non réponse, déjà formulée. D\'un ton plat, il déclare: \"monsieur le président, j\'espère qu\'à votre tour vous comprendrez que je ne peux pas répondre à votre question\". La formule peut varier à la marge. \"La question que vous me posez, je suis au regret de vous dire qu\'elle me semble empiéter non pas aux frontières mais pleinement sur l\'information judiciaire en cours et je ne peux pas vous répondre\" répond l\'ancien ministre à une autre occasion.Jamais déstabilisé\"Le compte (...) a été transféré dans une filiale à Singapour dans le même établissement bancaire. Est-ce que vous pourriez nous préciser à quelle date vous l\'avez transféré à Singapour ?\", demande ensuite Charles de Courson. \"Je suis contraint de vous faire la même réponse, M. le président. Je ne peux pas vous répondre\" déclare alors l\'ancien ministre délégué au Budget.Le président de la commission d\'enquête s\'agace un peu : \"vous vous rendez compte qu\'en refusant de répondre à cette question, M. Cahuzac vous mettez notre commission d\'enquête en difficulté\". Pas de quoi déstabiliser Jérôme Cahuzac.\"J\'ai refusé de transgresser deux tabous\"Tout juste apprendra-t-on, de la part d\'un ex ministre qui n\'hésite pas s\'apitoyer sur son sort, qu\'il y a « deux tabous qu\'il n\'a pas transgressés ». Et de préciser: « je n\'ai jamais juré ne pas détenir de compte sur la tête de mes enfants, et deuxième tabou, mentir à l\'administration dont j\'avais la charge, m\'a semblé impossible\". D\'où l\'absence de réponse au formulaire de demande de renseignements que lui a transmis l\'administration fiscale peu après les révélations de Mediapart.Un mensonge à l\'Assemblée nationale, après celui au Président et au premier ministreA propos de son retentissant démenti, et donc de son mensonge devant la représentation nationale le 5 décembre, quand il dit n\'avoir jamais eu de compte à l\'étranger, Jérôme Cahuzac explique l\'avoir prononcé alors qu\'il avait \"menti au président de la République et au Premier ministre dans les heures qui précédaient\". Par souci de cohérence, donc ?Sur les échanges avec le reste du gouvernement, à propos de son affaire, entre les révélations de Mediapart le 4 décembre et sa démission le 19 mars, Jérôme Cahuzac affirme qu\'ils n\'ont pas existé. Pierre Moscovici, qui était en charge de ce dossier fiscal à compter du 10 décembre, dès lors que le ministre du Budget s\'est « déporté » du dossier, ne lui a rien dit. Pas plus que le ministre de l\'Intérieur, Manuel Valls, ou la ministre de la Justice, Christiane Taubira, qui ne lui ont pas adressé la parole à ce sujet, affirme-t-il.L\'administration dédouanéeSur le rôle de l\'administration, Jérôme Cahuzac estime qu\'elle n\'a rien à se reprocher. Seule la justice a fait progresser le dossier, affirme Jérôme Cahuzac.  \"Je suis évidemment juge et partie sur le travail de Médiapart\" dit-il. \"J\'ai, moi, la conviction que ce sont beaucoup moins les journalistes de Médiapart qui ont permis à la vérité d\'éclater que les services du procureur\". Autrement dit, seule la justice, indépendante, a fait progresser l\'enquête. \"Si vous voulez bien vous donnez la peine de relire les articles qui ont été publiés, vous constaterez que pendant des semaines et des semaines ils ne faisaient que répéter ce qu\'ils avaient dit d\'emblée\", a-t-il poursuivi.Le rôle difficile de la commission d\'enquêteDifficile, dans ces conditions, progresser dans la connaissance du rôle de cette administration entre le 4 décembre et le 19 mars, objet de la commission d\'enquête. Celle-ci cherche notamment à savoir pourquoi l\'administration de Bercy s\'est contentée d\'interroger seulement la Suisse au sujet du compte Cahuzac sans enquêter sur un éventuel compte à Singapour.Interrogé sur ce point, l\'ex ministre se montre sibyllin : \"je crois avoir lu avec attention les comptes rendu des auditions des représentants de l\'administration fiscale. Il m\'a semblé que leurs réponses étaient assez convaincantes , manifestement elles ne vous ont pas convaincu vous et je le regrette\".Pourquoi l\'administration de Bercy n\'a-t-elle interrogé les autorités suisses que sur la banque UBS ? \"Tout simplement parce que c\'était le seul sujet au moment de notre demande\", avait répondu à la même commission le 28 mai le patron de l\'administration fiscale, Bruno Bézard. \"Une question ouverte aurait été jugée insuffisante par les autorités suisses\", et \"reviendrait à une pêche aux informations\", avait précisé le même jour pour sa part le directeur de cabinet du ministre de l\'Economie Pierre Moscovici, Rémy Rioux.Pourquoi pas Singapour ? \"Cette question a été couverte en demandant à la Suisse de mentionner \"tout transfert d\'UBS vers tout autre pays\", avait argué Bruno Bézard.Après cette audition de Jérôme Cahuzac, la question se pose de la portée des conclusions de cette commission d\'enquête. Pour le président de la commission des Finances, Gilles Carrez,(UMP), elle ne débouchera pas sur grand\'chose. En tous cas, l\'ancien ministre du Budget ne l\'a pas vraiment aidée._______>>> VIDEO Affaire Cahuzac : Audition de Jérôme Cahuzac (AN-TV)
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