Chine : nouveaux dirigeants, nouveau programme ?

Les transitions en matière de gouvernance politique se traduisent en général soit par un changement d’orientation, soit par une continuité. Mais la seule perspective de telles transitions repousse bien souvent certaines décisions politiques importantes, et fige une partie de l’activité économique, dans l’attente de la résolution des incertitudes qui les accompagnent.La transition décennale de gouvernance en Chine, marquée par le 18e Congrès du Parti communiste chinois, en est l’illustration. Et si beaucoup se souviendront du temps où le changement de gouvernance en Chine constituait une curiosité politique et culturelle peu porteuse d’implications économiques directes vis à vis des principales puissances mondiales, ce temps est révolu.La Chine est désormais la deuxième économie planétaire, et, malgré le ralentissement récent d’une croissance annuelle du PIB atteignant les 7%, les performances du pays surpassent celles de tous les autres acteurs majeurs. La Chine demeure le point d’assemblage central et vital de la chaîne d’approvisionnement mondiale de nombreux produits manufacturés tels qu’ordinateurs et téléphones mobiles, offrant des tarifs inférieurs aux consommateurs du monde entier. C’est ce qui a fait de la Chine un partenaire commercial clé des États-Unis, de la plupart des pays européens, et de nombreuses autres économies, en plus de l’avoir positionnée au cœur des échanges et des dynamiques logistiques intra-asiatiques.En outre, la Chine détient près de 3 300 milliards de dollars de réserves de change – composées principalement de dollars, mais également d’autres devises majeures – grâce à l’excédent commercial considérable enregistré ces dernières décennies. Ceci lui permet d’aider à financer les déficits commerciaux et l’investissement national des autres pays (bon nombre de ces bénéficiaires présentant de larges déficits budgétaires qui positionnent l’épargne nationale en dessous de l’investissement domestique).Les réformes de Deng Xiaoping ont permis le développement économique le plus rapide jamais observé dans l’histoire et, avec lui, l’émergence d’une classe moyenne nombreuse et croissante. Ceci fait de la Chine une opportunité de marché importante pour de nombreuses entreprises étrangères – parmi lesquelles constructeurs automobiles, fournisseurs de technologies, institutions financières, compagnies énergétiques et autres exportateurs agricoles. Quant aux sociétés chinoises, trop souvent détenues par l’État, elles recherchent de plus grandes opportunités d’investissement à l’étranger dans les secteurs majeurs, et notamment dans l’énergie.L’un des corollaires de la croissance spectaculaire de la Chine se manifeste sous la forme de tensions économiques de plus en plus prononcées à l’endroit des autres pays. La politique de taux de change de la Chine et son excédent commercial bilatéral avec les États-Unis ont constitué des questions importantes dans la campagne présidentielle américaine, et les inquiétudes relatives à l’investissement étranger de la Chine sont omniprésentes. L’Organisation mondiale du commerce a maintenu les obligations américaines sur les pneus chinois, et le Canada a étendu son examen de l’offre de la China National Offshore Oil Corporation pour l’acquisition de Nexen, producteur pétrolier et gazier canadien. Malgré l’appartenance de la Chine à l’OMC, de nombreuses sociétés étrangères sont confrontées à des restrictions sur leur expansion en Chine, ou contraintes de coopérer avec une entreprise chinoise.De leur côté, les Chinois se plaignent des pratiques commerciales étrangères, et portent un certain nombre d’affaires (parmi lesquelles un contention de longue data avec l’Union européenne sur les panneaux solaires) devant l’OMC, qui voit se multiplier le nombre de dossiers présentés devant elle par d’autres pays à l’encontre de la Chine. L’ensemble des parties en présence doivent cependant garder à l’esprit que la Chine est trop indispensable à l’économie et au système commercial mondial pour risquer de voir ces disputes échapper à tout contrôle.Dans le même temps, le ralentissement économique de la Chine – conséquence de la fébrilité internationale et des efforts d’atténuation de l’inflation du pays et de la surchauffe des marchés d’actifs – menace de ralentir le rythme de la création d’emplois pour les millions d’individus s’extrayant chaque année de la pauvreté rurale en direction de la prospérité supérieure de zones urbaines chinoises en plein expansion. Et nous en arrivons à un moment où ralentit le rythme d’ouverture du marché et de réduction du contrôle étatique, à la suite de réformes substantielles mises en place par l’ancien président Jiang Zemin et l’ancien Premier ministre Zhu Rongji. Bien que le président sortant Hu Jintao et l’ancien Premier ministre Wen Jiabao aient joué d’une mélodie réformiste dans leurs déclarations publiques et dans le 12e Plan quinquennal chinois, beaucoup à l’intérieur de la Chine – dont, semblerait-il, Jiang – sont déçus.Ainsi scrute-t-on les moindres signaux indicateurs de ce que vont faire le nouveau président Xi Jinping et le nouveau Premier ministre Li Keqiang. Il est rare qu’un successeur – que ce soit dans les affaires ou au sein d’un gouvernement – usurpe d’un geste de la main le statut boiteux du dirigeant sortant ; c’est pourquoi nul ne peut répondre avec certitude à la question de savoir si la nouvelle gouvernance entendra promouvoir une avancée réformiste ou cherchera à maintenir le statu quo.Parallèlement au nouveau président et au nouveau Premier ministre, d’autres membres du Comité permanent du Bureau politique ont été nommés, et de nombreux postes ministériels font actuellement l’objet de nominations. Compte tenu de l’existence d’un système chinois caractérisé à l’égard des hauts dirigeants par le « up or out », ceux qui ne seront pas promus seront remplacés. Du nouveau gouverneur de la Banque populaire de Chine au cabinet, en passant par les principaux régulateurs, la nouvelle équipe a l’opportunité de faire avancer la Chine en favorisant la compétition, en réduisant la puissance des entreprises étatiques, en stimulant la consommation des ménages, et en réduisant la dépendance à l’égard des exportations.Plus tôt dans l’année, le Centre chinois de recherche sur le développement du Conseil d’État et la Banque mondiale ont publié un excellent rapport portant sur les opportunités et les défis du programme politique chinois. Il conclut à une nécessité pour la Chine d’achever sa transition vers une économie de marché, au travers de réformes agraires, de réformes portant sur le droit du travail, la finance et les entreprises. L’ouverture des marchés à une plus grande concurrence et le rééquilibrage des rôles du gouvernement et des marchés constituent la stratégie la plus prometteuse pour atteindre le statut de pays à haut revenu dans les prochaines décennies. Difficile d’offrir un meilleur cadre de travail à Xi et Li, tandis qu’ils inscrivent aujourd’hui leur empreinte dans la politique économique chinoise.Plus particulièrement, la consommation chinoise, en tant que proportion du PIB, s’élève à un niveau très faible par rapport aux standards internationaux et en comparaison avec l’expérience historique d’autres États ayant connu un stade de développement similaire. Deux options importantes en faveur de la croissance de la consommation sont celles de l’assurance sociale – qui se développe, bien qu’à un rythme trop lent – et de la réduction de l’épargne colossale des entreprises étatiques à travers le versement de dividendes aux citoyens, de la même manière que les sociétés privées ont pour habitude de verser des dividendes à leurs actionnaires.Aux quatre coins du monde, cadres, employés, consommateurs, investisseurs et acteurs gouvernementaux, pour beaucoup sous le choc de leurs difficultés économiques, misent énormément sur la capacité des nouveaux dirigeants chinois à mener des réformes de manière sensée, aujourd’hui et dans les années à venir. Le monde en saura bientôt davantage sur ce à quoi il peut s’attendre.Michael Boskin, professeur d’économie à l’Université de Stanford et membre principal de la Hoover Institution, a exercé entre 1989 et 1993 la fonction de président du Council of Economic Advisers de George H. W. Bush.Copyright: Project Syndicate, 2012. 
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