Réalisme socialiste

C'est un pavé dans la mare de la communication politique qu'a lancé sous son air bonhomme Michel Sapin, le ministre du Travail et fidèle du président, en disant qu'il y avait bien "un Etat mais c'est un Etat totalement en faillite." On verra si François Hollande rappelera à l'ordre son ministre comme l'avait fait son prédécesseur Nicolas Sarkozy avec son Premier ministre François Fillon pour avoir proférer le même jugement.Ne pas heurter l'opinion publiqueC'est une constante dans la gouvernance de la France - disons depuis Jacques Chirac - que de refuser systématiquement de décrire la réalité de la situation en France pour ne pas heurter l'opinion publique. Pourtant quiconque regarde l'évolution de l'économie française et le rôle de l'Etat depuis 2000 peut constater - comme l'on fait des rapports commandés par... les gouvernements - la tendance non soutenable de régler les problèmes par le recours à l'emprunt (donc à crédit) davantage que par des réformes nécessaires pour affronter les défis posés par le cadre européen et encore plus contraignant celui de la concurrence imposée par la mondialisation.Pour nombre d'observateurs étrangers, il apparaît stupéfiant que les discours politiques n'ont qu'un lointain rapport avec la réalité. En off, nombre de responsables de l'Hexagone expliquent qu'il s'agit de ne pas affoler des Français qui seraient déjà déprimés par la perspective de leur avenir.Le réalisme a mauvaise presseConséquence, on peut voir des tribuns de talent comme Jean-Luc Mélenchon ou encore Arnaud Montebourg imposer, grâce à la magie du verbe, au premier plan de la vie politique des vues qui ont certes les charmes de l'utopie mais ne peuvent répondre aux problèmes qui se posent aujourd'hui : réduction des dépenses publiques, redressement de la compétitivité des entreprises françaises, réforme de l'Etat ou encore celle du marché du travail... Il est vrai que le réalisme a mauvaise presse, il ne fait pas rêver et ne vise qu'à régler les problèmes du moment.Cela n'a pourtant pas découragé notre ministre de l'Economie, Pierre Moscovici, devant un parterre huppé de Davos, de vanter précisément l'accord signé récemment entre partenaires sociaux sur la réforme du travail en la nommant - in english in the text! - "flexicurity", fléxisécurité, un concept que le gouvernement se garde bien d'employer publiquement pour ne pas heurter! Mais pourquoi d'ailleurs? Ceux qui sont contre s'emploieront de toute façon à la combattre, et ceux qui sont pour ne pourront franchement la soutenir puisque le mot n'existe pas dans le discours officiel."Au service, simplement, de la paix"Il en est d'ailleurs de même dans un autre domaine qui n'est pas lié directement à l'économie, celui de la défense. La France est en guerre au Mali, dans un cadre international légal, pour combattre une nébuleuse terroriste islamiste qui veut imposer sa loi, et menace la stabilité de toute une partie de l'Afrique.Or, pour justifier cette intervention, le président français a soutenu : "(La France) porte des valeurs. Elle n'a aucun intérêt au Mali. Elle ne défend aucun calcul économique ou politique. Elle est au service, simplement, de la paix." Comme le remarque dans une tribune Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, enseignant chercheur en droit international à l'université  Mc Gill de Montréal, un tel "désintéressement" est "une erreur, qui a des effets pervers", car il n'y a pas de honte à agir par intérêt pour un pays.La France a une présence importante (entreprises, ressortissants) dans la région via des accords passés avec les pays concernés qui impliquent qu'elle agisse quand c'est nécessaire, ce qui passe par la défense de ses intérêts économiques directs ou indirects (par exemple son approvisionnement en uranium). En fait, ce qui est évident pour tout le monde, ne l'est pas pour la France qui se veut en la matière une exception.Or ce manque de réalisme assumé dans le discours fragilise sa position. Comme le rélève Jean-Baptiste Jeangène Vilmer : "Celui qui répète à l'envi qu'il n'a rien à cacher attise la suspicion. On cherche alors l'intérêt national avec deux fois plus d'ardeur que s'il était assumé."Le malade est prêt à supporter la véritéFinalement, avec son franc constat, Michel Sapin ne fait que nommer la réalité tel un médecin qui fait un diagnostic correct avant de pouvoir prescrire les remèdes qui viendront à bout de la maladie. Une institution aussi peu complaisante que l'agence Standard & Poor's dit que la France a de nombreux atouts à faire valoir pour redresser sa situation. Et le malade est prêt à supporter la vérité car il a vraiment envie de guérir.
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