Au secours, la crise revient !

Souvenez-vous, c’était il y a une semaine. La crise était terminée, les «spreads», ces écarts de taux qui sont le «vrai» baromètre de ladite crise, se détendaient, la BCE avait enfin sonné la fin de la récréation, l’union bancaire était sur les rails et mieux encore ni la cour constitutionnelle de Karlsruhe, ni les électeurs néerlandais n’ont voulu contrarier ce retour aux jours heureux.Le risque politique a resurgi en une semaineEt puis, surprise! Revoilà les doutes. Sur l’Espagne, d’abord. Les scènes d’émeutes dans les rues de Madrid, l’incapacité de Mariano Rajoy à prendre le risque politique d’une demande d’aide européenne, la volonté des Catalans (et pourquoi pas des Basques et des Galiciens?) de ne plus jouer le jeu unitaire à la veille d’élections régionales. Et aussi sur la Grèce et son gouvernement qui joue à cache-cache avec la Troïka. Et là aussi des scènes de violence dans les rues d’un pays saigné à blanc depuis deux ans et demi. Et sur le Portugal où le gouvernement a dû céder sur certaines mesures d’austérité après des protestations. Et avec les doutes sur ces pays viennent, comme toujours, ceux sur l’Italie, où la situation politique demeure toujours aussi illisible et instable. Et puis enfin la France et son gouvernement gêné sur sa gauche par des promesses inconsidérées et qui s’attache plus que jamais à tenir un engagement budgétaire et moins en moins réalisable.Rejet de la politique européenneC’est le grain de sable que les experts de Bruxelles, de Francfort et de Berlin qui ont préparé cet été la «sortie de crise» n’avaient pas anticipé: le retour du facteur politique et de la colère des populations. En Grèce, au Portugal et en Espagne, les gouvernements ont partout changé, balayés par les électeurs. Mais les situations matérielles ne se sont guère améliorées. A qui se vouer alors désormais? Pas aux oppositions qui sont les précédentes majorité… D’où les manifestations massives et le manque de crédibilité de l’ensemble des classes politiques. D’où également la tentation de solutions plus radicales: l’indépendance des provinces en Espagne et le parti néo-nazi en Grèce qui est donné en troisième position dans les sondages. En Italie, la situation n’est guère différente, malgré la relative popularité de Mario Monti et le succès du mouvement «5 étoiles», très clairement «anti-système» et qui risque de jouer le trublion dans la vie politique italienne, vient le prouver.Le Nord n’est pas à l’abriGlobalement, le divorce entre les dirigeants des pays d’Europe et les populations tend à se creuser, même dans les pays du nord qui garantit la solidité économique de l’ensemble européen. Et si le phénomène est loin d’être nouveau, il s’accentue fortement. Doit-on rappeler que le Front national a réalisé en mai un score record en France? Que la pensée eurosceptique gagne du terrain dans l’opinion en Allemagne? Qu’en Autriche, un nouveau –et troisième– parti eurosceptique de droite, celui du milliardaire Frank Stronach vient de voir le jour? Même le succès des partis pro-européens aux Pays-Bas ne doit pas faire illusion: elle a été faite au prix de concessions considérables aux thèses eurosceptiques. Comme le rappelait l’historien Thomas von der Dunk dans une tribune publiée après le scrutin dans le quotidien De Volkskrant.Risque d’effondrementAu final, le bel édifice du «sauvetage de l’euro» menace de s’effondrer tout simplement parce que la situation politique risque de ne pas le permettre. A chaque décision, à chaque avancée, un gouvernement bloquera par crainte de sa situation politique ou devant des manifestations. Et le processus sera dissous dans une série de compromis qui rendront les bonnes intentions vaines et les décisions inefficaces. Veut-on s’en convaincre? Voyez ce qu’il advient de l’aide bancaire du MES ou des menaces qui guettent l’Union bancaire.Ver dans le fruitMais en réalité, le ver était dans le fruit. C’est bien la manière dont les dirigeants européens, à Bruxelles et dans les Etats membres, perçoivent leur rôle qui est en cause. C’est la direction prise depuis le début de la crise qui nous a conduit à cette impasse. Depuis 2010, les Européens ont emprunté un chemin: celui de la pensée néo-ricardienne. Il faut réduire vite, et quel qu’en soit le prix, les déficits. La stratégie s’est révélée mortifère pour la croissance et le niveau de vie des Européens. Or, les dirigeants européens ne veulent pas entendre la plainte des peuples. Malgré les signaux venant d'économistes peu réputés keynésiens comme ceux de S&P, les dirigeants n’y voient que le ressentiment de populations incultes incapables de comprendre les enjeux. Ils se cachent derrière l’insulte du «populisme» et appellent à la patience. Mercredi, Mario Monti déclarait qu’il «est normal que l’Italie soit en récession», mais que «la reprise arrivera». Certes, après la pluie vient le beau temps, mais quand? Le risque d’une spirale digne des années 1930 est plus que jamais d’actualité. Et qui dit années 1930, dit risque politique majeur. Il est temps pour les dirigeants européens de regarder moins les spreads et d’écouter plus leurs concitoyens. Il est temps de cesser cette stratégie de déflation compétitive pour réfléchir enfin à une réforme efficace, solidaire et progressive du modèle économique européen. Et de le faire avec les populations et non plus malgré elles. Sinon, la justesse théorique de la stratégie économique de l’Europe ne l’empêchera pas de s’enfoncer dans une crise durable et à haut risque sur le plan politique. 
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