La banque d'affaires, une industrie en surcapacité

De prime abord, il ne saute pas aux yeux. Et pourtant, il existe bel et bien un point commun entre les banques d’affaires et l’industrie automobile européenne. Celui de la surcapacité. De la même façon que l’appareil de production des constructeurs est disproportionné par rapport à la demande de véhicules, les banquiers d’affaires sont trop nombreux sur un marché des fusions et acquisitions en chute libre. Cette année, les M&A (mergers and acquisitions) impliquant au moins une entreprise française, qu’elle soit cible ou proie, ont dégringolé de moitié, à 84,9 milliards de dollars, selon Thomson Reuters. Et si le repli est de bien moindre ampleur à l’échelle mondiale, le marché global des fusions et acquisitions accuse tout de même une baisse de 4%, à 2.356 milliards de dollars.Des crises en série« Dans le conseil en fusions et acquisitions, les volumes d’affaires sont faibles depuis plusieurs années. Auparavant, les années atones alternaient avec des phases de rebond, ce qui était plus facile à gérer. Aujourd’hui, le doute s’installe : le marché repartira-t-il vraiment ? », s’inquiète Stéphane Bensoussan, responsable des fusions et acquisitions chez HSBC France. Il faut dire que les crises s’enchaînent, depuis cinq ans. Crise des subprimes (crédits hypothécaires américains à risque) en 2007, crise financière en 2008, crise économique en 2009, crise des dettes souveraines en 2011… Or, sans visibilité sur l’environnement macro-économique, bien peu d’entreprises s’aventurent dans des opérations de croissance externe. Pis, par mesure d’économies, certains groupes se passent parfois des services de banques-conseil.La multiplication des « boutiques »Parallèlement, le nombre de banquiers d’affaires, lui, n’a pas diminué. Pourtant, Lehman Brothers a fait faillite en 2008, Merrill Lynch a été rachetée par Bank of America. Et les autres banques d’affaires ont licencié à tours de bras. « Oui, mais lorsqu’ils sont remerciés, beaucoup de banquiers seniors montent leur propre affaire, si bien que nous sommes aussi nombreux qu’il y a quatre ans ! », s’exclame le responsable français des fusions et acquisitions d’une banque britannique. « Il existe beaucoup de capacité dans l’industrie des banques-conseils, par rapport au volume d’affaires », renchérit Hubert Preschez, en charge des fusions et acquisitions en France à la Société générale.De fait, des « boutiques » - de petites structures spécialisées uniquement dans le conseil en fusions et acquisitions - sont nées sur les cendres de Lehman Brothers, ou ont profité de la crise pour se renforcer. C’est le cas d’Ondra Partners, fondée en 2008 à Londres par deux anciens de Lehman, Michael Tory et le Français Benoît d’Angelin. Ou de Moelis, créée en 2007 par l’ancien patron de la division banque d’affaires d’UBS, et qui avait profité de la crise de 2008 pour multiplier les recrutements de seniors issus de grands établissements comme Morgan Stanley, Merrill ou Lehman.« Un assainissement nécessaire »Résultat, les parts du gâteau des fusions et acquisitions fondent à vue d’œil. En 2012, les « fees » (commissions) perçues sur les M&A impliquant au moins une société française ont plongé de 48%, à 1,03 milliard de dollars, d’après Thomson Reuters. « Un assainissement du marché, notamment en France, où il est très concurrentiel, est nécessaire », décrète le responsable en France des fusions et acquisitions d’une grande banque anglo-saxonne. Sans isoler la branche banque d’affaires, le cabinet Roland Berger évalue à 40.000 le nombre de postes à supprimer en banque de financement et d’investissement (BFI), dans le monde, pour que ce métier garde une rentabilité des capitaux à deux chiffres. Le secteur de la BFI, qui emploie 500.000 personnes à l’échelle mondiale, a déjà « coupé » 15.000 têtes depuis la mi-2011, un nombre auquel s’ajoutent 25.000 suppressions de postes annoncées mais non encore effectives.Banques intégrées versus boutiquesQui va disparaître, qui va rester ? Les boutiques ont pour avantage l’absence de risque de conflits d’intérêts, puisqu’elles ne pratiquent ni activités de marchés ni financement d’opérations, contrairement aux banques d’affaires appartenant à de grandes BFI. Mais "l'un des facteurs clés de succès du M&A, dans l'environnement difficile que nous connaissons actuellement, réside dans la taille de la banque, sa présence partout dans le monde, sa capacité à exercer également une activité de financement », assure Stéphane Bensoussan, chez HSBC France.Hubert Preschez, de la Société générale, abonde dans le sens de son confrère : « La capacité d’une banque d’affaires à évaluer l’impact d’une opération de croissance externe sur la note de solvabilité de l’acquéreur est très importante. Tout comme l’est son aptitude à savoir ce que peut vraiment payer l’acheteur, dans le cadre d’une cession d’actifs. Or, pour disposer de ces deux qualités, il faut être une banque intégrée, avec une équipe de financement. » Des qualités qui font que « la pression à la baisse sur les fees n’est pas la même pour les banques intégrées et pour les boutiques », assure un autre responsable du département fusions et acquisitions d’une banque française. Les prochaines années diront si « big is (encore) beautiful », dans la banque d’affaires. 
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