Le mythe de Colbert revisité

François d'Aubert a été, avec Longuet et Madelin, l'un des jeunes loups de la « bande à Léo », qui, autour de François Léotard, ont participé à la seule expérience libérale que la France ait connue, entre 1986 et 1988. S'en souvenir est indispensable pour décrypter son dernier ouvrage dans lequel il cherche à « lever la part d'ombre d'un mythe fédérateur » français : Colbert.Le sous-titre du livre, « la Vertu usurpée », est bien dans la veine d'un homme qui a mis sa carrière politique au service de la dénonciation de la criminalité financière, que ce soit hier, au travers de l'affaire Crédit Lyonnais (il a fait des démêlés de la banque avec la MGM un livre, « l'Argent sale »), ou aujourd'hui comme délégué général à la lutte contre les paradis fiscaux.Sans faire d'anachronisme, ce « Colbert » est bien un moyen trouvé par François d'Aubert pour parler de la crise actuelle, qui a fait revenir l'État sur le devant de la scène. La France en particulier, même après trente ans de libéralisation de l'économie, lui semble rester encore génétiquement « colbertiste », car centralisatrice, bureaucratique et protectionniste. Dans le même temps, le fait que notre pays semble s'en tirer mieux que les autres est aussi une reconnaissance de l'efficacité de cette école de pensée.Le colbertisme revisité par François d'Aubert n'est pourtant pas toujours conforme à l'image lisse et consensuelle qu'on en a. Entre le Colbert vertueux dépeint par les historiens de la IIIe République, défenseur de l'intérêt général contre les financiers de l'Ancien Régime, et le personnage retors, violent, manipulateur, obsédé par le pouvoir et l'argent, décrit par d'Aubert, il y a un fossé plus profond que les douves du ministère des Finances à Bercy. Après avoir lu ce livre, le directeur du Trésor, qui conserve par dérision sans doute un buste de Colbert en belle place dans son bureau, n'osera plus le montrer à ses visiteurs. Car, si Colbert a incontestablement marqué son temps, à l'image des Sully, Richelieu ou Turgot, ce n'est pas toujours pour le meilleur. Certes, il a mis ses talents au service de Louis XIV, pour doter la France d'un État fort. Il a réformé la levée de l'impôt, pour financer les fastes du roi Soleil, mais aussi un pays en guerre quasi perpétuelle. Il a développé l'industrie et les manufactures royales (les Gobelins, les arsenaux, Saint-Gobain), devenant en quelque sorte le père de la politique industrielle et du capitalisme d'État, « inoxydable référent et garant » de la pertinence de l'interventionnisme public. Un colbertisme qui a servi parfois l'indépendance nationale, permis de lancer des projets structurants et l'apparition de « champions nationaux », mais dont d'Aubert laisse percevoir entre les lignes qu'il n'a pas toujours été pertinent. On sent bien que par ce portrait sans concession, François d'Aubert règle ses comptes avec un certain colbertisme dont, même s'il ne le dit pas explicitement, on trouve encore trace aujourd'hui au sommet de l'État. P. M. « Colbert. La vertu usurpée », de François d'Aubert. Plon (488 pages, 23 euros).
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