« L'affaire africaine » qui secoue BNP Paribas

C'est une affaire dont se serait bien passé BNP Paribas. La banque française se retrouve mêlée, à son corps défendant, à une douteuse affaire d'escroquerie entre l'un de ses anciens dirigeants, Jacques-Philippe Marson, et un homme d'affaires africain, Aliou Boubacar Diallo. Ce dernier a porté plainte le jeudi 21 janvier auprès du parquet de Paris pour « escroquerie et abus de confiance » contre Jacques-Philippe Marson, ancien directeur général de BNP Paribas Securities Services, une filiale spécialisée dans la conservation de titres. L'homme d'affaires malien l'accuse de l'avoir trompé alors qu'il devait lui trouver des investisseurs pour sa mine d'or. Il affirme surtout que le banquier devait en cas de succès toucher une commission de 12 millions d'euros.De son côté, Jacques-Philippe Marson a porté plainte contre Aliou Diallo, le 17 décembre, pour « tentative d'escroquerie, tentative d'extorsion de fonds, menaces et chantages ». Il accuse l'homme d'affaires africain de s'être servi de lui et de ses fonctions chez BNP Paribas comme faire-valoir pour attirer des investisseurs. Ses avocats réfutent l'existence de toute commission occulte.Enfin, BNP Paribas dénonce le conflit d'intérêts de Jacques-Philippe Marson entre ses affaires personnelles et professionnelles. La banque a saisi la justice le 18 décembre par le biais d'une dénonciation contre X de « faits susceptibles de porter atteinte à l'ordre public économique ». Le parquet de Paris vient d'ouvrir une enquête préliminaire à ce sujet. Les trois parties attendent la nomination d'un juge d'instruction. Septembre 2008. Alors que le système financier est au bord du gouffre, Jacques-Philippe Marson, Luxembourgeois de 56 ans, est chez lui, en Belgique. Son ami belge Éric Van Hove, spécialiste du secteur aurifère, lui rend visite. Les deux hommes sont voisins et habitent dans la banlieue riche et chic de Bruxelles, au bord du golf de Grez-Doiceau, où ils tapent régulièrement quelques balles ensemble. Éric Van Hove lui demande de trouver un investisseur qui serait prêt à débourser 200 millions de dollars pour financer l'extraction d'une mine d'or au Mali.Cette exploitation appartient au fonds Mansa Moussa de l'homme d'affaires malien Aliou Boubacar Diallo. Ce fonds est géré par un cabinet d'avocats canadien, Lavery de Billy, une pratique apparemment courante au Canada. Les trois hommes déjeunent ensemble le 26 septembre au club house du golf de Grez-Doiceau et lancent le projet. Quelques jours plus tard, le dirigeant de BNP Paribas croise un ami suisse qui gère les intérêts de François de Seroux, un riche homme d'affaires helvétique. Les deux hommes se connaissent depuis une vingtaine d'années lorsqu'ils travaillaient ensemble chez J.P. Morgan aux États-Unis, dans les années 1980. François de Seroux semble prêt à apporter les 200 millions de dollars à Aliou Diallo. L'intermédiaire Éric Van Hove part au Mali quelques jours et revient en Belgique le 13 octobre 2008 pour rédiger un rapport succinct constatant l'existence de la mine d'or. La transaction se met en place. François de Seroux ouvre début 2009 un compte pour sa société Ventra Consulting chez BP2S, la filiale de BNP Paribas, que dirige Jacques-Philippe Marson. C'est là que le mélange des genres entre l'activité personnelle et professionnelle du banquier se cristallise. Pendant ce temps, le fonds d'Aliou Diallo, Mansa Moussa, envoie les bons de souscription et les certificats de l'opération directement au domicile de Jacques-Philippe Marson.Mais le versement des 200 millions de dollars traîne. François de Seroux a perdu beaucoup d'argent avec la crise et ne semble plus en mesure d'assurer son investissement, selon l'entourage de Marson. En avril 2009, le dirigeant de BP2S et Aliou Diallo se rencontrent à l'hôtel Intercontinental, rue Scribe, à Paris, non loin du siège de la banque. L'homme d'affaires malien est accompagné de nouveaux investisseurs potentiels. Selon les avocats de Jacques-Philippe Marson, ce dernier réalise à ce moment-là que Diallo utilise sa « carte de visite BNP Paribas » pour cautionner son opération. C'est la rupture entre les deux hommes. À l'été 2009, c'est Éric Van Hove qui annonce à Aliou Diallo que la transaction ne se fera pas avec François de Seroux.L'homme d'affaires malien est furieux. Il décide alors d'attaquer. C'est véritablement à ce moment-là que l'affaire se déclenche. Le 30 septembre 2009, son avocate, Julia Boutonnet, fait transmettre par un ami à Baudouin Prot, le directeur général du groupe BNP Paribas, des documents qui lui arrivent quelques jours plus tard. Son client Aliou Diallo accuse Jacques-Philippe Marson d'avoir réclamé une commission de 12 millions de dollars, soit 6 % des 200 millions prévus, en cas de réussite de la transaction. Une accusation qu'il étaie par un certain nombre de documents. Selon nos informations, la défense d'Aliou Diallo dispose de copies de mails et de SMS, constatées par huissier, échangés entre l'homme d'affaires malien et le dirigeant de BNP Paribas. Ces documents ont été transmis au parquet et sont aussi en possession de la banque. Dans ces correspondances entretenues entre octobre et décembre 2008, Jacques-Philippe Marson parle ouvertement d'une commission de 6 % dont il rétrocéderait la moitié à l'ami suisse qui conseille François de Seroux. Dans un SMS adressé à Aliou Diallo, il assure qu'il va, par l'intermédiaire de sa société personnelle Euro Financial Advisors (EFA), ouvrir un compte au Luxembourg pour recevoir ces commissions. Dans le même temps, l'intermédiaire belge Éric Van Hove aurait dû toucher 2 % supplémentaires, soit 4 millions de dollars. De leur côté, les avocats de Jacques-Philippe Marson déclarent que ces documents sont faux. La défense assure aussi que sa société personnelle n'a qu'une activité : la détention de biens immobiliers. « La société personnelle de M. Marson, EFA, ne recevait que des loyers, et nous le prouverons en fournissant ses comptes à la justice », explique édouard de Lamaze, avocat de l'ancien patron de BP2S. Au même moment, BNP Paribas découvre les agissements de son dirigeant. Mais c'est surtout le Belge Éric Van Hove qui sort de son silence. Il est en réalité au centre de l'affaire. Matthieu PechbertyLa banque se retrouve entraînée dans un litige entre un homme d'affaires malien et l'un de ses anciens dirigeants, Jacques-Philippe Marson. « La Tribune » révèle l'existence de documents semblant attester que ce dernier aurait dû toucher des commissions. Premier volet de notre enquête.
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