Une si symbolique réforme de l'ENA

Le sujet a disparu de l'agenda médiatique. Il est vrai que de l'eau a coulé sous les ponts, depuis l'annonce de la suppression du classement de sortie de l'ENA par Nicolas Sarkozy, à l'occasion de son unique conférence de presse, le 8 janvier 2008. Entre une autre annonce de suppression, celle de la publicité sur France Télévisions, et la confirmation officielle d'une union prometteuse - « avec Carla, c'est du sérieux » - le dossier ENA avait pu paraître, alors, anecdotique.Et pourtant, cette promesse, en passe d'être tenue, puisqu'une proposition de loi en ce sens vient d'être définitivement adoptée, agite nombre d'élus. C'est que supprimer ce classement, c'est presque comme remettre en cause le statut de la fonction publique (1946). Sitôt le texte de loi adopté, le 14 avril, les sénateurs socialistes ont saisi le Conseil constitutionnel, en passe de statuer. Et la polémique de renaître entre gardiens de l'ordre républicain et « modernisateurs ».Les premiers, sénateurs socialistes en tête, voient dans la suppression du classement de sortie, qui détermine l'affectation des élèves dans telle ou telle administration, une atteinte au principe d'égalité. C'est là l'un des fondements de leur saisine du Conseil constitutionnel. Le classement serait remplacé - il l'est déjà, en partie - par un processus complexe de recrutement, s'apparentant plus à celui en vigueur dans les entreprises. Jusqu'à maintenant, c'étaient les élèves sortants qui choisissaient leur point de chute, pouvant prétendre à des affectations d'autant plus prestigieuses qu'ils étaient bien classés. À l'avenir, les administrations pourraient pleinement choisir leurs jeunes recrues. De quoi ouvrir la porte à toutes les connivences, ont affirmé les sénateurs PS. Et aussi certains membres de la majorité. L'ancien élève de l'ENA, Josselin de Rohan, aujourd'hui président (UMP) de la commission des Affaires étrangères du Sénat, s'est insurgé contre la décision présidentielle qui « menace la transparence et l'équité ». Que « devront faire les élèves pour attirer l'attention des recruteurs ? Bien danser ? Être membres de tel cercle, de tel parti ? » Nombre d'anciens élèves, leur association en tête, déplorent, aussi, la disparition du classement et s'inquiètent d'un retour à la reproduction des grandes familles, les « fils d'archevêques » étant bien sûr privilégiés. Indissociable de la création de l'ENA, en 1945, le classement avait permis alors de rompre avec les filières de recrutement mises en place par chaque administration. Il se voulait garant de la méritocratie.Autant d'arguments balayés par les modernisateurs, qui, tel le président du comité de mise en oeuvre de la réforme de l'ENA, Jean-Pierre Jouyet, défendent une nécessaire « professionnalisation » du recrutement, affirmant « qu'on n'est plus en 1945 ». Surtout, ils soulignent que le débat porte sur, en tout et pour tout, une quinzaine d'élèves (sur un total de 80). Ceux susceptibles d'accéder aux grands corps de l'État (Inspection des finances, Conseil d'État, Cour des comptes). Pour les autres, le classement a, d'ores et déjà, beaucoup moins d'importance. En outre, le classement privilégie déjà, de fait, les élèves issus des milieux les plus favorisés. Et comme le souligne Laurent Bigorgne, directeur de l'Institut Montaigne et vice-président de Sciences po, aussi bien l'Union européenne que les collectivités locales recrutent sur liste d'aptitude, sans que cela suscite plus d'émotion.Retarder l'accès aux grands corps pourrait représenter une solution de compromis : au lieu de recevoir à la sortie de l'école, dès 25 ans, le label Inspection des finances ou Conseil d'État, l'étudiant devrait faire ses preuves ailleurs pendant quelques années, avant d'intégrer les plus prestigieuses des administrations. Mais celles-ci rechignent à une telle solution.Au-delà, c'est la perte de prestige de l'ENA, qui n'attire plus toujours les meilleurs étudiants, qui pose problème. Les rémunérations attractives, le mot est faible, offertes par le monde de la finance n'expliquent pas tout. La fonction publique recèle toujours des « projets merveilleux », estime Laurent Bigorgne. Mais, souligne-t-il, elle se montre peu capable d'offrir de véritables perspectives de carrière aux étudiants a priori intéressés par la chose publique. L'État n'a pas su accompagner le rétrécissement de son champ d'action - à la suite des privatisations, et de la multiplication des autorités indépendantes - d'une redéfinition des postes les plus stratégiques qu'il peut encore proposer.L'analyse
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