« Aujourd'hui, tous les Américains veulent travailler dans la banque

STRONG>Ces derniers mois, la situation sur le marché de l'emploi semble s'améliorer aux États-Unis. Peut-on parler d'une véritable reprise ?On constate en effet une amélioration, avec des secteurs qui sont en train de recruter. Cela contribue à l'instauration d'un sentiment positif sur l'économie américaine. Mais si le rythme de créations d'emplois est bien meilleur qu'il ne l'a jamais été depuis deux ans, il reste encore trop lent pour parler d'une véritable reprise. À ce rythme-là - 200.000 créations par mois - il faudrait attendre 2019 pour regagner tous les postes perdus pendant la crise. Le taux de chômage va continuer mécaniquement à baisser, également parce que de nombreuses personnes découragées continuent de sortir de la population active. Il faudra cependant encore beaucoup de temps avant de se rapprocher de la situation d'avant la crise.Justement, des économistes estiment que la crise a eu des conséquences structurelles qui rendent désormais impossible de revenir vers le plein emploi...Il y a eu en effet un transfert important de la production manufacturière américaine vers l'Asie et l'Amérique latine. Il existe toujours une industrie forte aux États-Unis mais beaucoup d'emplois manufacturiers ont disparu pendant la crise et ne reviendront pas. Cela pose problème pour toute une population très peu qualifiée, qui peine à trouver du travail lorsque l'économie bascule vers les services. Leur taux d'emploi est donc extrêmement faible. La vraie révolution sur le marché du travail se situe aujourd'hui dans le manque d'adéquation entre cette main-d'oeuvre peu qualifiée et les besoins des entreprises. Il est difficile d'y remédier, notamment parce que l'enseignement supérieur est globalement réservé à ceux qui peuvent se le payer.Il y a au contraire des secteurs où les salaires augmentent. Pourquoi ?Les salaires ont fortement augmenté ces derniers mois dans le secteur de la banque ou de la high-tech. Mais surtout pour les personnes les plus qualifiées. Pour les cadres, on est aujourd'hui quasiment dans une situation de plein emploi, avec un taux de chômage de 4,4 % pour les « college graduates » [diplômés de l'enseignement supérieur, Ndlr]. Le marché du recrutement est donc très actif, ce qui entraîne une surenchère au niveau salarial. Pendant deux ans, cette compétition s'était calmée parce que les Américains prenaient moins de risque et changeaient moins souvent d'emploi. Ce mouvement s'est accéléré d'autant plus fortement que ces salariés ont emmagasiné pendant deux ans une certaine frustration. Cela crée mécaniquement une augmentation des rémunérations.Comment se portent les recrutements sur le secteur financier ? Constatez-vous une modification des pratiques de rémunération ?Depuis septembre 2009, on assiste à une nette reprise des recrutements dans les grandes banques américaines et étrangères présentes aux États-Unis. Certaines évoluent quasiment en flux tendu et ont besoin de personnel qualifié. Il y a donc beaucoup de postes ouverts avec des salaires qui ont tendance à augmenter. Les banques sont plus généreuses sur le fixe - notre salaire moyen de recrutement est compris entre 100.000 et 150.000 dollars par an. Mais elles sont aussi plus floues sur l'attribution du variable.La finance reste-t-elle le secteur qui paie le mieux ?Depuis dix ans, tous les Américains veulent travailler dans la banque parce que c'est là qu'il y a les plus gros salaires. Et c'est toujours le cas aujourd'hui. Il y a eu un léger revirement pendant deux ans sur l'administration publique après l'arrivée de Barack Obama, qui a recruté des gens très qualifiés à l'extérieur. Mais maintenant, toutes les embauches sont gelées et l'attrait pour les programmes universitaires préparant à une carrière dans l'administration est retombé. Même s'il y a des secteurs à la mode, il n'y a pas encore de nouvel eldorado. Les polémiques sur Wall Street n'ont pas affecté son pouvoir d'attraction sur les jeunes diplômés.Avec la reprise des embauches, notamment au niveau cadres, votre activité a-t-elle retrouvé ses niveaux d'avant-crise ?Nous sommes en train d'y revenir mais il existe des disparités géographiques. Dans certains pays, notamment en Asie et en Amérique latine, nous les avons largement dépassés. Aux États-Unis, nous ne les avons pas encore atteints car le marché a plus souffert qu'ailleurs, mais notre croissance est soutenue. La moitié des grandes entreprises américaines privilégient toujours le recrutement en direct, avant de s'adresser à un cabinet. Mais pour les petites entreprises, il est plus difficile d'attirer des talents en raison de leur déficit de notoriété. Et aujourd'hui, la différence ne se fait plus sur les processus de production ou sur les systèmes informatiques. Elle se fait sur les talents. L'humain prime désormais sur la technologie.L'émergence des réseaux sociaux professionnels, comme Linkedin, vous fait-elle de l'ombre ?Linkedin est un outil supplémentaire mais une entreprise a toujours besoin que nous appelions 50 candidats, que nous en rencontrions 20 et que nous lui présentions les 3 ou 4 meilleurs prétendants pour le poste. C'est comme cela qu'elle peut gagner du temps. Il y a 100 millions d'utilisateurs sur Linkedin : le volume tue donc la qualité. De plus, ce qui intéresse souvent les sociétés, ce sont les personnes qui ne sont pas en recherche active. Elles ne sont pas forcément sur Linkedin ou sur Monster. Mais elles sont dans nos bases de données, parce que nous les suivons depuis plusieurs années. Avec Internet, vous n'avez accès qu'à une partie des candidats.Barack Obama a effectué début mars son premier voyage officiel en Amérique latine. Les États-Unis semblent redécouvrir cette région. Quel est son potentiel ?Il est très important, surtout au Brésil. C'est un pays de 200 millions d'habitants avec d'importantes ressources naturelles. La population parle assez bien anglais, elle est bien formée, intelligente et travailleuse. Dans nos bureaux brésiliens, nous sommes obligés de mettre une heure de fermeture pour obliger nos employés à partir. Il y a un vrai appétit pour le développement et pour arriver au même niveau que les États-Unis. Quand nous sommes arrivés au Brésil en 1999, beaucoup de Brésiliens voulaient venir travailler aux États-Unis ou en Europe. Aujourd'hui, c'est fini. Il y a tellement d'exemples de réussite, tellement d'opportunités de développement qu'ils veulent rester, même après avoir effectué leurs études à l'étranger.Et dans les autres pays ?Le potentiel est moindre en Argentine ou au Chili qu'au Brésil, même si la croissance économique y est également importante. L'autre pays que nous voyons aujourd'hui émerger, c'est la Colombie, un pays qui a sans doute les employés les mieux formés d'Amérique du Sud, remarquablement intelligents et très travailleurs. Reste le Mexique, qui est rongé par ses problèmes de criminalité et de drogue. Malgré tout, son potentiel est important. Propos recueillis par Jérôme Marin, à New York
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