Derrière les mots de Tim Geithner

STRONG>Florence Pisani (économiste chez Dexia Asset management) : « Accepter les contraintes pour que les politiques nationales restent collectivement cohérentes »Si Tim Geithner avait déjà, en septembre 2009, affirmé la nécessité de forger un cadre de « croissance forte, soutenable et équilibrée » dans le monde, le fait qu'il y revienne à la veille d'un G20 est important. La crise a montré qu'un système financier globalisé ne pouvait fonctionner de façon durable que si, dans ses différentes régions, les politiques macroéconomiques étaient sinon coordonnées, du moins compatibles. Depuis la fin des années 1990, ce système globalisé a permis des transferts d'épargne massifs entre pays. Certains, comme les Etats-Unis et l'Espagne ont pu dépenser plus qu'ils ne gagnaient grâce à l'épargne de ceux qui accumulaient des excédents, la Chine, les pays pétroliers et l'Allemagne notamment. Ces derniers ont tiré également avantage du système puisqu'il leur a permis d'exporter une épargne qui sinon aurait étouffé leur croissance. Ils ont en outre pu le faire sans forcément prendre tous les risques impliqués par ces transferts d'épargne. Cette globalisation a toutefois conduit à une accumulation de risques déraisonnable dans le système financier occidental, en même temps que l'endettement dans les pays emprunteurs dépassaient les limites du raisonnable* ! La crise a ainsi fait prendre conscience de la nécessité d'une gestion plus coopérative de l'équilibre macro-économique mondial. C'est précisément ce que dit aujourd'hui Tim Geithner : chacun doit accepter des contraintes pour que les politiques nationales restent collectivement cohérentes. Au plus fort de la crise d'ailleurs, les pays excédentaires ont soutenu massivement leur demande intérieure, et partant, accepté une réduction de leurs excédents. Il est important aujourd'hui de poursuivre cette coordination : dans un monde globalisé comme le nôtre, tous les gouvernements ne peuvent réduire rapidement et en même temps leurs déficits. Les Etats-Unis ont, eux, clairement privilégié le redémarrage de la croissance et remis à plus tard le retour à l'équilibre budgétaire. Pendant que l'Espagne, la Grèce et l'Irlande rétablissent énergiquement l'équilibre de leurs comptes publics, d'autres tels l'Allemagne ou même la France peuvent prendre le temps de le faire. C'est ce que rappelle Tim Geithner... en donnant la Chine en exemple aux européens.Antoine Brunet (président de AB Marchés) : « La question de la réévaluation du yuan va une fois de plus passer à la trappe lors du G20 à Toronto. » Après être revenu bredouille du sommet du 24 au 26 mai à Pékin, la déclaration de Tim Geithner revêt une importance particulière. Il est clair que les Etats-Unis, qui voulaient obtenir une réévaluation du yuan, ont capitulé en rase campagne face à Pékin. Déjà, le 4 mai, Washington renonçait à publier le rapport sur la manipulation des monnaies. Et le 24 mai, Tim Geithner déclarait que la Chine contribuait fortement à la croissance mondiale, alors même que depuis le mois de mars, la relance chinoise ralentit ! En clair, n'ayant rien obtenu de la Chine ?pas plus sur le yuan que sur la montée des risques venant de la Corée du nord-, les Etats-Unis se tournent vers l'Europe pour demander une relance, alors même que l'ampleur des déficits publics des pays européens menace l'unité européenne ! Ils ont crû qu'ils pourraient obtenir tout seul la réévaluation du yuan, sans comprendre qu'ils avaient plus de chance de faire plier Pékin s'ils avaient été unis avec les Européens. La vérité, c'est que les Etats-Unis sont extrêmement inquiets sur leur croissance économique, que la baisse rapide de l'euro pénalise leur commerce extérieur au moment où ils en auraient le plus besoin, et qu'ils ne peuvent plus actionner leurs dépenses publiques pour soutenir leur activité. Dans ce contexte, la baisse des dépenses publiques en Europe va affaiblir un peu plus leur reprise. Si Tim Geithner met aujourd'hui autant l'accent sur la relance, cela signifie clairement que la question du yuan va une fois de plus passer à la trappe lors du G20 à Toronto. Jean Pisani-Ferry (directeur de l'Institut Bruegel) : « Sa déclaration s'adresse à la Chine comme aux pays européens. »Le rééquilibrage de la croissance mondiale était déjà le thème central du G20 de Pittsburg de septembre 2009, dans un contexte où l'on craignait que la remontée du taux d'épargne aux Etats-Unis ne plombe durablement sa croissance. Huit mois plus tard, le contexte est sensiblement différent : la reprise des pays émergents est plus forte que prévu et grâce à l'amélioration de la demande et à la hausse de la productivité, la reprise américaine est également plus vigoureuse que ce que l'on escomptait alors. C'est la zone euro qui peine à redémarrer et semble concentrer tous les problèmes. Du coup les Etats-Unis se retrouvent dans la même position de moteur de la demande au sein des pays avancés, et leur déficit risque de s'accentuer à nouveau. Les mots de Tim Geithner prennent donc un sens différent, à quelques semaines du G20 canadien, où les menaces que font peser les nouveaux déséquilibres sur la croissance mondiale seront abordées. La déclaration du secrétaire américain au Trésor s'adresse à plusieurs publics: à la Chine d'abord, qui, avec la baisse de l'euro, se montre à nouveau réticente à réévaluer son yuan. S'adresser aux Allemands, c'est aussi une manière de dire à Pékin que Washington ne stigmatise pas la Chine, car tous les pays excédentaires doivent contribuer à la relance mondiale; aux pays européens ensuite, à qui le secrétaire américain enjoint d'avoir une approche budgétaire différenciée selon l'urgence de réduire leur déficit. Ainsi n'est-il pas anodin qu'il se soit adressé explicitement à l'Allemagne, dont la situation est une des plus favorables des pays européens, et non aux Européens dans leur ensemble qui ne sont pas un interlocuteur représentatif pour Washington, du moins en ce qui concerne la politique budgétaire. Pour les Etats-Unis, il est important que la demande en Europe du nord résiste au moment où celle de l'Europe du sud s'effondre, car ils redoutent que leur déficit commercial avec la Chine ne se transforme en déficit commercial avec l'Europe avec la chute de l'euro. Enfin Washington considère que c'est bien aux Etats-Unis d'être, au sein du G20, leaders sur cette question de la coordination des politiques économiques. Ils prennent date pour le sommet de juin.
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