Finance mondiale ? : avons-nous changé quelque chose ? ?

Il faut être lucide. Les États, qui se doivent de protéger la qualité de leur signature, ultime garantie de la stabilité de nos sociétés, ne sont plus en mesure de supporter le poids d'une nouvelle crise systémique. Or, force est de constater que le système financier est loin d'avoir été purgé de toutes ses déficiences. Le G20 s'efforce d'apporter une réponse politique adaptée dans le cadre d'un agenda de réformes qui nécessite du courage. Hélas, malgré toutes les alertes, la situation sur les marchés financiers n'évolue pas dans un sens qui soutiendra efficacement son action.En Europe, l'esprit de la directive Marchés d'instruments financiers (MIF) a été détourné. À l'origine, elle avait des buts louables?: réduire le coût d'accès au capital ainsi que les frais d'exécution des ordres. Or, deux ans et demi après son introduction, ni les investisseurs ni les émetteurs n'en ont retiré de réels avantages. Sur les activités actions, la part des transactions réalisées dans l'opacité a grimpé de 20 % des volumes totaux en 2007 à plus de 40 % aujourd'hui. Elle représente 80 % des produits dérivés et 95 % du marché obligataire. Par ailleurs, des formes d'exécution opaques sont apparues, comme les « crossing networks » (systèmes d'échange de titres internes à une banque), à l'accès totalement discrétionnaire, tandis que les « dark pools » (plates-formes opaques d'échange de blocs d'actions) traitent désormais tout type d'ordres. Maintenant érigée en véritable industrie, l'activité OTC (« over the counter »), qui par nature opère sans contrôle des régulateurs, vide les marchés transparents de leur substance, met à mal le mécanisme de formation des prix, empêche la juste évaluation des actifs et piétine la nécessaire protection de toutes les classes d'investisseurs, y compris les particuliers. Surtout, elle est incompatible avec un retour durable de la confiance sur les marchés et accroît le risque systémique en l'absence du filet de sécurité qu'est la compensation. La MIF a également eu pour effet, sous le dogme européen de l'ouverture à la concurrence, de permettre la création d'une multitude de plates-formes de négociations alternatives. Ces plates-formes électroniques bénéficient d'une série d'avantages compétitifs aussi déterminants que désormais injustifiés?: arbitrage de régulation (elles sont toutes basées à Londres), coûts de régulation allégés, surveillance extrêmement rudimentaire, activité concentrée sur les seules valeurs les plus liquides au détriment des PME, absence totale de personnel hors de Londres tout en ayant une activité paneuropéenne... Au même moment, les marchés réglementés, étroitement surveillés par des équipes de haut niveau et par l'ensemble des régulateurs européens, oeuvrent au service des places financières où ils opèrent tout en servant les intérêts de l'ensemble des sociétés cotées. Ce qui est en jeu ici, c'est l'intégrité et la stabilité des marchés, avec une fragmentation de la liquidité, une dissociation potentielle entre le lieu de formation des prix (sur les marchés réglementés) et celui, potentiellement discrétionnaire, où s'exécutent les transactions, et une difficulté croissante pour réguler l'ensemble des activités boursières. Le « flash crash » du 6 mai dernier aux États-Unis a été une illustration criante des effets néfastes de cette déstructuration. Or, le besoin de transparence et de stabilité des marchés ne s'est jamais manifesté de façon aussi aiguë. La combinaison des deux phénomènes, opacité galopante et hyperfragmentation des marchés, aura pour conséquence ultime, si rien n'est fait, d'entraîner à terme la disparition totale des marchés régulés et transparents.Dans ce contexte, on pourrait penser que le débat progresse à grand train afin que des solutions salutaires émergent. Eh bien, non. Des bataillons de lobbyistes entretiennent des débats sophistiqués d'une stérilité désarmante au regard des enjeux. Savoir si l'opacité représente... 38 % ou 43 % sur le marché des actions n'a que très peu d'importance quand on sait, outre l'ordre de grandeur, qu'elle a doublé en deux ans. Cela devrait suffire à rallier les bonnes volontés pour réformer le système et placer l'intérêt collectif avant les intérêts partisans. Il appartient à tous les acteurs de l'industrie financière d'agir pour restaurer la fonction première des marchés financiers. L'histoire nous jugera sur actes.
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