Injustes inégalités

En plein débat sur les retraites et sur fond d'affaire Bettencourt, domine chez les Français un fort sentiment d'injustice. La manière dont les individus vivent les inégalités et argumentent sur ces dernières a toujours occupé une place de choix dans les recherches en psychologie sociale. Ainsi Adams a-t-il identifié le sentiment « d'injustice distributive » il y a un demi-siècle, se basant lui-même sur les travaux d'Aristote sur la justice. Selon Adams, ce sentiment est perçu par une personne lorsque celle-ci constate que le ratio de ses rétributions (salaires et accessoires) et de ses contributions (effort, talent, diplômes, expérience) est inférieur à celui d'une autre personne considérée comme un point de repère (même poste ou même diplôme ou même âge). Jugement relatif donc puisque bâti sur une comparaison avec une personne référente, elle-même déclencheur de ce sentiment d'injustice.Pendant longtemps, les femmes ne ressentaient pas d'injustice malgré un salaire inférieur de près de 20 % à celui des hommes pour des postes équivalents car elles se comparaient aux... autres femmes ! Mais ce qui est intéressant dans ces travaux sur l'injustice distributive, c'est qu'ils remettent les pendules à l'heure sur les croyances des managers en matière de satisfaction au travail : les salariés acceptent ainsi que leurs rétributions ne soient pas faramineuses pour autant qu'ils les estiment justes, c'est-à-dire en rapport avec ce qu'ils ont produit. Même chose en matière de promotion. Comme l'a montré Aristote, ce ne sont donc pas les inégalités qui produisent des sentiments d'injustice - après tout nous ne sommes pas égaux - mais ce qu'il appelle les « inégalités injustes ». ATTITUDES ET COMPORTEMENTS En entreprise, ce qui est vécu comme injuste impacte fortement les attitudes et les comportements au travail beaucoup plus sûrement que ce qui est inégal ou défavorable. Ceux qui ressentent ainsi un fort décalage dans le ratio rétribution/contribution ont tendance à chercher à rétablir d'eux-mêmes l'équilibre, soit par de l'absentéisme ou une plus faible contribution. Pour autant ils ne seront pas plus heureux...voire même très malheureux. Car démotivés ! D'où un sentiment d'injustice qui s'exprime aussi par des plaintes verbales ou somatiques servant à camoufler la colère qui monte. Le malheur paraissant plus légitime que la rage, on passe facilement en mode victime. Se méfier donc du sentiment de ce qui est juste ou injuste. Trimer avec l'espoir d'un coin de paradis ne suffit pas. Un grain de sable peut faire caler le moteur. Dès que les efforts ne sont pas récompensés, nous y voici confrontés. Et de l'injustice à l'impuissance, il n'y a qu'un pas. Mais si Bourdieu et Passeron estimaient que chacun devait apprendre à considérer comme légitimes les inégalités, pas facile de vivre avec le sentiment douloureux de l'injustice. La raison ne suffit pas toujours à dépasser l'émotion, et piégés par le grand principe d'égalité pour tous face à des inégalités qui perdurent, nous voici plongés dans la complexité pour ne pas dire la perplexité. Car ce qui peut apparaître comme juste selon un principe peut très bien apparaître comme injuste si l'on adopte un autre angle. Mieux comprendre la genèse et la variabilité de nos jugements apparaît alors essentiel pour se sortir d'une position de victime, voire de bourreau des autres et de nous-mêmes. Car ce n'est pas l'injustice en soi qui nous blesse, c'est d'en être l'objet.La plus grande injustice est de traiter également les choses inégales ». Aristote
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