Les mythes de la prospérité allemande

Pas un jour ne passe qu'on ne nous donne l'Allemagne en modèle économique. Sa stratégie, basée sur l'austérité budgétaire et salariale, l'aurait conduite à une prospérité bien méritée. Cette belle histoire a de solides fondements théologiques : la mortification n'est-elle pas la voie du salut ? Mais elle n'est étayée ni par les Allemands eux-mêmes, qui se plaignent de ne pas connaître cette mythique aisance, ni par les statistiques économiques. Un PIB par tête inférieur à celui de la France depuis 2003. Un simple petit calcul : diviser le revenu national annuel (PIB) par le nombre d'habitants permet de se rendre compte que les Allemands (29.250 euros) gagnent moins d'argent que les Français (30.600 euros en 2009) ; cela depuis 2003. On objectera que ce calcul n'est qu'une moyenne ; mais les inégalités de revenus sont sensiblement les mêmes en Allemagne et en France. On objectera encore que le PIB est un indicateur bien imparfait de prospérité. Soit : regardons alors l'indice de développement humain calculé par l'ONU. Outre le PIB (corrigé du coût de la vie), cet indice prend en compte la santé et l'éducation. La France est classée au 8e rang mondial et première des pays du G7 ; l'Allemagne 22e et dernière du G7. On objectera enfin que le PIB par Allemand est inférieur de seulement 4 % au PIB par Français en 2009 : une différence si minime ne mériterait pas que l'on s'y arrête. Certes ; mais le déclin relatif qu'a connu l'Allemagne depuis quinze ans est frappant. En 1995, le revenu par Allemand était supérieur de 14 % au revenu par Français ; il lui est désormais inférieur. Comment en est-on arrivé là ? Le revenu allemand a connu un déclin relatif considérable depuis quinze ans. La comparaison des PIB par habitant en France et en Allemagne va à l'encontre de bien des idées reçues. Idée reçue n° 1 : l'Allemagne aurait payé un lourd tribut pour sa réunification. L'Allemagne de l'Est avait un PIB par habitant plus bas que celui de l'Ouest en 1989, ce qui plaçait le revenu moyen allemand (Est et Ouest) 4 % en dessous du PIB par Français. Mais le boom de la consommation, de l'investissement et des salaires allemands, induit par la réunification, lui permit de bondir à 114 % du PIB par Français en 1995. C'est la seule période, en quarante ans, durant laquelle la performance allemande se détache nettement. Idée reçue n° 2 : la désinflation compétitive au sein de la zone euro serait payante. Cette stratégie consiste, dans une zone économique où les taux de change sont fixes, à faire baisser les salaires dans son pays pour rendre les exportations plus compétitives, et chercher la croissance chez ses voisins. Cette stratégie est généralement critiquée pour être égoïste (non coopérative, disent les économistes), non pour être inefficace. Mais on voit que cette stratégie allemande, engagée depuis dix ans, n'a pas été payante pour l'Allemagne elle-même. Elle lui a permis de stabiliser le revenu par habitant, relativement à la France, depuis 2005, pas de le faire remonter significativement. Les gains remarquables du commerce extérieur ont été compensés par la perte de croissance liée à la stagnation de la consommation et des investissements.Notons pour finir que la stabilisation du PIB par Allemand relativement à celui des Français ces dernières années tient en partie à des évolutions démographiques divergentes. La population allemande a culminé en 2002 et elle a reculé de presque 800.000 personnes depuis lors. Au contraire, la population française continue d'augmenter d'environ 0,5 % par an ; elle a gagné presque 3 millions de personnes depuis 2002. La baisse de la population allemande a un effet positif sur le PIB par tête : le revenu est réparti entre un plus faible nombre de personnes. Mais elle a de nombreux inconvénients économiques à moyen terme, en particulier sur les ratios d'endettement financier : la dette publique et les systèmes de retraite pèseront sur une base de contribuables de plus en plus réduite.Les chiffres de PIB par habitant dépeignent donc une tout autre Allemagne que les chiffres brillants du commerce extérieur. Ils permettent de mieux comprendre ses positions récentes sur les questions européennes, nourries du sentiment de son opinion publique que le reste de l'Europe s'est enrichi à ses dépens. Mais ils n'incitent pas particulièrement à y voir un modèle de stratégie recommandable pour la zone euro.
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