L'éditorial de Sophie Gherardi : Saudade à Porto Alegre

Comment expliquer ce paradoxe ? Le capitalisme traverse l'une des crises les plus violentes qu'il ait connues ; jamais le nombre de chômeurs n'a été aussi élevé dans le monde ; la puissante Amérique semble incapable d'apporter des solutions à ses citoyens paupérisés. Et pourtant, au même moment, l'anticapitalisme semble frappé de langueur. À Davos, où les puissants débattent de la réforme du système - sincèrement ou non, c'est une autre histoire - des mots assez forts sont prononcés : jamais plus, impossible, immoral, injuste, obscène... Mais à Porto Alegre, au Brésil, le Forum social mondial fête sa dixième édition sans enthousiasme. Comme si le mécanisme de la dénonciation tournait désormais à vide. Une panne d'idées neuvesAprès tout, on aurait pu attendre que surgissent des travaux de cet anti-Davos des idées neuves. On y assiste plutôt à la confrontation, aussi vieille que les mouvements révolutionnaires, entre les réalistes et les ultras. Ceux qui exigent qu'on travaille sur des solutions pratiques en matière de logement, d'emploi, de réforme agraire, sur la ligne du président Lula, se heurtent aux plus radicaux, qui prônent la lutte politique dure, dans la foulée d'un Hugo Chavez, qui poursuit les nationalisations à grand spectacle. Mais tandis que ce dernier est contesté dans son pays, où deux manifestants anti-Chavez sont morts cette semaine, Lula jouit au Brésil d'une popularité invraisemblable : près de 80 % après deux mandats. Seul un malaise inopiné l'a empêché de participer cette année au Forum de Porto Alegre puis à celui de Davos : il aurait été acclamé avec autant de chaleur dans l'un et dans l'autre. Le président brésilien a réussi sur les deux tableaux : sortir de la pauvreté des millions de ses compatriotes, et accéder au club des grandes économies développées. Dans la grande foire des mouvements sociaux qu'est Porto Alegre, ceux pour qui Lula a montré le chemin d'un avenir vraiment meilleur devaient s'interroger : après lui, qui ? Et éprouver cette tristesse indéfinissable que la langue portugaise appelle « saudade ».
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