Derrière les mots de... Nicolas Sarkozy

STRONG>Par Valérie SegondLe contrat social implicite dans les propos présidentiels est-il politiquement acceptable ? Peut-on d'emblée exclure de faire appel à un effort des retraités, tout en affirmant que les décisions « concerneront tout le monde » ? Certes, la réforme Balladur de 1993 et celle de Fillon en 2003, dont le plein effet commence à se faire sentir, vont faire baisser mécaniquement le niveau relatif des pensions par rapport aux salaires au fil des années : d'ici à 2050, la pension mensuelle brute aura décroché de 10 % par rapport au salaire moyen. En ce sens, si l'on s'en tient au strict niveau des pensions rapporté au dernier salaire perçu, appelé « taux de remplacement », les retraités ne seront de facto pas totalement dispensés de la mobilisation nationale pour le rééquilibrage du système. Il est vrai aussi que, avec plus de carrières par intermittence, les nouveaux retraités seront plus rares à liquider leurs droits avec toutes les années de cotisation : les taux effectifs de remplacement ne vont donc pas manquer de baisser. En somme, le président considérerait que le sacrifice existant déjà, autant ne pas en rajouter. Il ne ferait ainsi que s'inscrire dans la droite ligne de la philosophie de la réforme Balladur, qui consiste à déflater sans bruit le niveau des pensions. Peut-on s'arrêter à cette lecture bienveillante des propos présidentiels ? Car peut-on exclure d'emblée une participation supplémentaire des retraités à l'effort national nécessaire pour combler l'énorme trou des régimes de retraites ? Peut-on mettre dans l'ombre la situation des retraités français, et claironner que tous les efforts devront porter sur les seuls actifs, en augmentant durée et niveau de cotisations ? Le Conseil d'orientation des retraites est formel : la France est un des rares pays de l'OCDE où le niveau de vie des retraités est équivalent à celui des actifs. Leur revenu disponible, avec revenu du patrimoine et loyers imputés, est de 0,89 fois celui des actifs, et de 1,04 fois le revenu disponible moyen de l'ensemble de la population. Un niveau de vie en constante augmentation et qui est moins exposé aux vents sévères de la mondialisation puis de la récession que celui des actifs. Quant au niveau de pauvreté des retraités, il se maintient, depuis 1996, à moins de 10 %, soit « à un niveau bas par rapport à l'ensemble de la population », affirme le COR. S'il existe d'importantes inégalités parmi les retraités comme parmi les actifs, les retraités semblent à la fois moins pauvres que les actifs les plus pauvres, et plus riches que les actifs les plus riches. Ainsi, si l'on se place du strict point de vue de l'équité, comme l'affirme le président, on devra bien prendre en compte tous les éléments du niveau de vie des actifs comme des retraités. Et ne pas s'arrêter au niveau du minimum vieillesse, ni au fameux taux de remplacement ni même au rapport entre pensions médianes des retraités et salaires médians des actifs. Si la réforme de 2010 promet de donner lieu à une intense bataille de chiffres dans laquelle chaque camp viendra démontrer, « arguments incontournables » à l'appui, sa paupérisation relative, le président qui se présente ici comme un sage, appelant à l'effort de tous, ne devrait protéger personne. L'effort à consentir pour sauver le système va être tel qu'aucun élément de la situation réelle de chacun ne saurait être oublié. Au nom même de l'équité entre les générations, il faut élargir le spectre de l'analyse, et tout prendre en compte : le niveau des pensions, des transferts sociaux nets des prélèvements, mais aussi les revenus du patrimoine et l'enrichissement des détenteurs de patrimoine lié à la valorisation des actifs immobiliers et financiers. Il ne faut pas non plus oublier les loyers que beaucoup de retraités, plus souvent propriétaires de leur résidence principale que les actifs, ne paient pas. Ni le nombre de personnes du foyer, sachant que la plupart des ménages à la retraite n'ont plus d'enfants à charge, et qu'avec la montée en puissance du travail féminin il n'est plus rare d'avoir deux pensionnés dans un même foyer. Enfin, il faudra tenir compte du niveau de la fiscalité du patrimoine et des prélèvements sociaux sur les pensions. Il est certain que la situation des retraités français ne se résume pas à la baisse à venir du taux de remplacement. Au nom de l'équité entre les générations, tout, sans exception, doit être en 2010 mis sur la table, sans calcul électoral de courte vue. Louis Chauvel, sociologue (*)Dans la phrase du président Sarkozy, le plus intéressant, ce sont les non-dits qui ont été prononcés : en disant, « la seule piste que je ferme tout de suite, c'est celle d'une diminution des pensions, qui n'est pas possible », on comprend que c'est bien dans son agenda, mais que ce n'est pas pour tout de suite ! En tout cas, il l'a pensé tellement fort qu'il en a parlé. Ayant été élu avec le vote majoritaire des Français de plus de 65 ans, il était vital de les rassurer, et en tout cas de ne pas les brusquer. D'autant que les jeunes retraités, ou ceux qui vont le devenir d'ici à cinq ans, forment une catégorie nombreuse, très mobilisée politiquement, consciente de ses intérêts, et qui bénéficie de relais cohérents et puissants au sein d'un parlement où les députés sont eux-mêmes âgés. Cette génération qui a ou qui va bénéficier d'une retraite moyenne très élevée, historiquement, et qui a pu se constituer un patrimoine dans des conditions extrêmement favorables, est la dernière à profiter de cette situation : c'est la première fois dans l'histoire, et aussi vraisemblablement la dernière, que les retraités sont à parité de niveau de vie avec les actifs. Si Nicolas Sarkozy attaquait frontalement le niveau de leurs retraites, il se trouverait politiquement très fragilisé pour 2012. Il ne peut donc jamais qu'augmenter les cotisations et renégocier à la baisse les pensions futures de ceux qui partiront à la retraite après 2015-2020, une génération sensiblement moins consciente politiquement, moins vigilante, mal organisée. Comme c'est aussi celle qui a connu le chômage de masse des jeunes, les carrières à trous et une épargne moins abondante, c'est bien cette génération-là qui subira la paupérisation inévitable des retraités, à partir de 2015. Cette génération sacrifiée, née à partir de 1955 et après, sera immanquablement la variable d'ajustement des déséquilibres accumulés en France depuis des décennies. Tout ceci est déjà écrit...(*) Auteur de « le Destin des générations » (éd. 2010 à paraître au PUF). Et auteur de « les Classes moyennes à la dérive » (Seuil). Michel Godet, professeur au Cnam (*)À deux mois des élections, il est clair que le président n'a pas voulu effrayer les retraités, sachant que les personnes de plus de 60 ans représentent près d'un tiers des électeurs qui votent réellement. Tout en donnant le sentiment aux Français qu'il tenait un langage de vérité, en invoquant des décisions « qui concerneront tout le monde », il faudra bien mettre sur la table les vraies questions. On ne touche pas au niveau des pensions, dit-il. Il n'empêche que le pouvoir d'achat des retraités par rapport aux actifs baisse de 0,5 point par an depuis 2003, depuis que les pensions sont indexées sur l'inflation et non plus sur les salaires. Il va bien falloir poser les deux vraies questions que personne ne pose : primo, bien plus importante que la durée du travail, celle de la durée de la retraite. Depuis 1970, s'est allongée de onze ans avec un départ quatre ans plus tôt et l'allongement de l'espérance de vie de sept ans et qui va encore augmenter de quatre ans d'ici à 2030. Une femme de 60 ans a aujourd'hui vingt-sept années d'espérance de vie, et un homme vingt-deux ! Avec seulement 1,5 actif pour 1 retraité en 2030, quand il y en avait encore 2,5 pour 1 en 1970, le système par répartition n'est tout simplement plus tenable ! Secundo, si la répartition c'est la solidarité intergénérationnelle (qui fait que les actifs paient pour les retraités du moment), cette solidarité ne doit pas conduire à des inégalités fortes entre retraités. Ainsi, se pose la question des inégalités entre retraités eux-mêmes, sachant que les fonctionnaires, qui représentent 12 % des ayants droit du régime général, perçoivent 31 % des pensions versées par ce même régime. On ne saurait s'attaquer au problème des retraites en faisant porter tout l'effort sur les seuls actifs qui seront moins nombreux et qui devront chacun rembourser 150.000 euros de dette publique. Il va falloir mutualiser les risques entre les retraités eux-mêmes. Après tout, c'est aux plus jeunes d'entre eux qu'il faudrait faire payer le risque de dépendance, car ce sont eux qui en profiteront.(*) Auteur de « le Courage du bon sens. Pour construire l'avenir autrement » (Odile Jacob, 2009). www.laprospective.fr Jean Eude du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la CGPME En signifiant que les efforts concerneront « tout le monde », le président dit clairement que les différences de traitement qui existent entre les retraités du secteur public et ceux du secteur privé seront mises sur la table. S'il affirme vouloir conserver le principe du système par répartition, il n'exclut pas d'emblée de la compléter par d'autres systèmes : ainsi pourrait-on envisager que pour les salariés des PME, on crée un fonds de pension accessible à des conditions fiscales avantageuses, comme ce qui existe déjà pour les salariés de la fonction publique. Enfin, en disant fermer la piste de la diminution des pensions actuelles, il ne s'interdit pas de réclamer d'autres gestes financiers aux retraités. En particulier pour financer le cinquième risque, c'est-à-dire la dépendance, ce que les Français comprendraient parfaitement. Bref, je ne crois pas que le président exonère de tout effort les retraités. Grégoire Tirot, auteur de « France anti-jeune. Comment la société française exploite sa jeunesse » Qui peut croire que le niveau des pensions ne diminuera pas ? Le gouvernement n'a rien à faire pour cela : la diminution des pensions sera le résultat inéluctable de l'application des règles actuelles. Entre l'entrée tardive sur le marché du travail des jeunes qui auront passé une partie de leur vie active en stages, les carrières à trous qui les attendent et la stagnation des salaires, il est certain que le niveau de leur pension va baisser. Qui aura véritablement cotisé 43, 44 ou 45 ans pour bénéficier d'une retraite à taux plein ? Le vrai risque est même qu'une partie très importante, voire une majorité, des futurs retraités se trouve, d'ici à trente ou quarante ans, au minimum vieillesse ! Et ce, parce qu'il n'y a pas tant d'alternatives : le niveau des cotisations est déjà très élevé, et la hausse continue n'est pas tenable ! Ce que dit implicitement Nicolas Sarkozy, c'est qu'il va falloir travailler beaucoup plus longtemps. Le système de retraite par répartition me paraît menacé ou, à tout le moins, risque de devenir négligeable pour s'assurer de revenus décents à la retraite : la priorité serait d'organiser des états généraux des relations intergénérationnelles afin de refonder notre contrat social. Il faut urgemment réintroduire davantage de solidarité entre les actifs et les retraités.
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