Le nouveau maître du « Monde »

Autodidacte : Xavier Niel, fils d'un ingénieur chimiste et d'une experte-comptable, a arrêté ses études après math sup. « Business angel » : Xavier Niel investit de 50 à 20.000 euros dans des start-up en phase d'amorçage, au rythme d'une par semaine. N'ayant guère le temps de sélectionner les dossiers ni de les suivre ensuite, il sous-traite cette tâche à deux rabatteurs : Jérémie Berrebi et Ouriel Ohayon. Sa philosophie : « Dans le tas, il y en aura bien quelques-unes qui seront des succès. » Il a ainsi investi plus de 500.000 euros dans trois journaux en ligne, « Mediapart », « Terra Eco » et « Bakchich » - ce dernier investissement lui vaudra d'ailleurs un coup de fil énervé de l'Élysée suite à un article qui avait déplu. Culture : assurément « geek ». Chez lui, point de tableaux de maîtres ni de bibliothèques, mais des écrans plats et des consoles de jeux vidéo à profusion. Ne pas s'attendre à ce qu'il cite René Char comme le faisait Jean-Marie Messier. En revanche, il peut vous parler de « Nip/Tuck », « The Shield » ou « Heroes », série où les personnages parlent (déjà) sans arrêt de « sauver le monde »... Ses connaissances sont à la fois impressionnantes, tout en étant limitées à des domaines très pointus : la comptabilité, le droit et, bien sûr, le high-tech. Establishment : Xavier Niel ne doit sa fortune qu'à lui-même, et ne semble avoir peur de personne. S'il a réussi hors de l'establishment, il a fini par le fréquenter un peu. Vincent Bolloréeacute;, Antoine Bernheim, Jean-Charles Decaux, Alain Weill (propriétaire de « La Tribune »)... figurent parmi ses connaissances. Et il prend plaisir à rencontrer Bernard Arnault ou les Pinault. « Quand j'étais petit, j'ai lu des biographies de tous ces grands patrons. Quand je les rencontre, c'est comme si ces livres prenaient vie », dit-il. Fortune : sa fortune est essentiellement virtuelle : il s'agit de ses 64 % dans Iliad, qui valent en Bourse 2,3 milliards d'euros. Sa fortune « liquide » est issue du fruit de la vente du fournisseur d'accès Worldnet (qui lui a rapporté plus de 15 millions d'euros), puis de la vente de titres Iliad, maison mère de Free (qui lui a rapporté quelques centaines de millions d'euros). Image : à l'origine, Xavier Niel avait adopté le principe du « Vivons heureux, vivons cachés ». Il refusait tout portrait, et affirmait avoir racheté toutes les photos de lui. Quand on insistait, il envoyait la biographie d'un homonyme, scientifique de son état. En réalité, il pensait que tout portrait parlerait inévitablement de ses débuts (cf. ci-après « Minitel rose »). Tout a changé en 2004, où son passé a largement été étalé (cf. ci-après à « Traumatisme »). Depuis, il accepte quelques portraits, de rares interviews, et apparaît parfois aux conférences de presse d'Iliad. Journalistes : les rapports avec eux (auxquels il consacre une bonne partie de son temps) sont binaires : c'est soit l'entente cordiale, soit la détestation. Avec les premiers, il sait se faire apprécier en étant toujours disponible, en distillant des confidences, notamment sur ses rivaux (toujours « off the record » bien sûr), ou en faisant cadeau de telle ou telle annonce. « J'ai toujours préféré donner une annonce en exclusivité à un média, car j'ai remarqué que le premier média donne souvent le ?la? pour les médias suivants », dit-il.Mais, lorsqu'un article lui semble malveillant, il s'explique vigoureusement avec l'auteur - mais il ne fait pas pression en appelant la hiérarchie. Et quand l'article lui paraît faux, il n'utilise pas le droit de réponse, mais porte plainte pour diffamation. « J'ai un modèle de plainte tout prêt, il n'y a juste qu'à remplir le nom du journaliste », dit-il en plaisantant. Cette procédure mène à la mise en examen du journaliste et du directeur du journal - ce qui produit toujours son petit effet sur les intéressés. Et quand le directeur ne répond pas trois fois de suite à la convocation du juge, il se fait arrêter au petit matin par les policiers - ce qui est arrivé en 2008 à Vittorio de Filippis, ex-PDG de « Libération ». Minitel rose : sa première activité à qui il doit le début de sa fortune. Revendu en 1998.Politique : aucun homme politique n'était présent lors de la fête des 10 ans de Free : ceux de droite s'étaient décommandés suite aux critiques contre Xavier Niel formulées juste auparavant par Nicolas Sarkozy. Pourtant, Xavier Niel compte quelques vieilles connaissances à droite : Gérard Longuet, Patrick Devedjian, Xavier Bertrand... À gauche, il a ses entrées auprès de Bertrand Delanoë, dont un des adjoints, Jean-Louis Missika, a longtemps été administrateur d'Iliad. Réseaux : autodidacte, Xavier Niel ne fait donc partie d'aucun réseau lié à ses études. Il se vante de n'employer aucun polytechnicien chez Free, alors que toutes les sociétés télécoms en sont remplies. Son réseau est plutôt constitué des millionnaires de la bulle Internet, comme les frères Rosenblum (Pixmania), Marc Simoncini (iFrance, Meetic), Pierre-François Grimaldi (iBazar), Jean-David Blanc (Allociné), Jacques-Antoine Granjon (Venteprivee.com)... mais aussi les fondateurs de Google ou Twitter. Traumatisme : en 2004, Xavier Niel est mis en examen pour « proxénétisme aggrav頻, ce qui lui vaut un mois de détention provisoire à la Santé. Explication : il détenait 25 % d'un sex-shop à Strasbourg où les hôtesses prodiguaient quelques caresses contre rémunération... Mais le juge d'instruction Renaud Van Ruymbeke constate qu'il n'avait aucun contact avec ce sex-shop, et n'était pas au courant de ses activités, et conclut donc rapidement au non-lieu. Parallèlement, il est aussi mis en examen pour « recel d'abus de biens sociaux » pour s'être fait rembourser un prêt en espèces. Il reconnaît les faits, ce qui lui vaut d'être condamné en 2006 à deux ans de prison avec sursis et 250.000 euros d'amende. En sortant de prison, il dira : « Mon succès sera ma revanche. » Jamal Henni
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