L'autre, ce "sauvage"

Le musée du Quai Branly présente une exposition à la fois originale, historique, didactique, qui retrace la destinée de ces hommes, femmes et enfants arrachés à leurs lointaines contrées pour être exhibés à la curiosité des Occidentaux. Un propos ambitieux, destiné à mieux cerner ce qu'est le racisme.
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En 2006, le musée du Quai Branly organisait une très remarquable exposition baptisée "D'un regard l'autre, histoire des regards européens sur l'Afrique, l'Amérique et l'Océanie" qui avait le mérite de mieux faire comprendre la vision, évolutive, des Européens face aux autres peuples. C'est dans cette continuité que cette fois, le musée présente une nouvelle exposition intitulée "Exhibitions, l'invention du sauvage". Il s'agit de retracer, tableaux, photos, films, affiches, objets et autres appareils scientifiques à l'appui, la destinée très particulière de ces hommes, femmes et enfants, que les Européens ont arraché depuis le XVème siècle à leur terre pour être exhibés à la curiosité occidentale.

Si ici tout débute en 1492 avec six Indiens présentés à la Cour d'Espagne par Christophe Colomb (car les Egyptiens exhibaient déjà des nains du Soudan ou les Romains de placides Barbares), les présentations de quelques "étranges étrangers" ne concernent dans un premier temps que la noblesse, ces gens venus d'ailleurs étant alors traités avec respect comme prestigieux ambassadeurs ou vénérables objets de curiosité. Puis vint l'indifférence au XVIIIème siècle avec l'esclavage (à peine effleuré dans l'exposition) et la curiosité populaire au XIXème siècle, avec entre-temps, quelques vagues démonstrations scientifiques et pas mal de certitudes théologiques.

C'est ainsi que l'Europe a glissé progressivement des présentations exotiques aux phénomènes de foires, puis aux cirques dédiés, puis aux expositions coloniales, puis aux zoos humains... (l'extrême cheminement étant le camp de concentration hélas non représenté au Quai Branly). Il y a eu la Vénus hottentote aux fesses spectaculaires, Maximo et Bartola enfants microcéphales prétendument aztèques, Chang et Eng les frères siamois, Krao le laotien à la pilosité excessive car outre les Zoulous, Lapons, Sénégalais et autres Fuégiens, l'intérêt du public portait sur tout ce qui était hors norme, exotisme et difformité en particulier.

Ainsi était marquée l'évidence de la supériorité de l'homme blanc : l'autre n'est plus que "le sauvage". Pour le commissaire de l'exposition, l'ancien champion de football Lilian Thuram aujourd'hui très actif dans la lutte contre le racisme, "on ne naît pas raciste, on le devient et la génétique prouve qu'il n'y a qu'une seule espèce, Homo sapiens". Or jusqu'aux années 2000, on trouvait encore des lieux d'exhibition, par exemple près de Nantes avec le "Village Bamboula" sponsorisé par un fabricant de biscuits au chocolat qui proposait aux visiteurs un "village africain authentique" où vingt Ivoiriens (payés au tarif d'Abidjan !) dansaient en tenues traditionnelles au milieu d'animaux africains.

Le mérite de cette exposition - les enfants sont particulièrement les bienvenus - est de développer un esprit critique face à des a priori toujours actuels : un sondage récent révèle que 55% des Français croient encore aux races et par exemple, que la couleur de peau détermine qualités et défauts d'une personne.

Reste beaucoup de questions sans réponses, notamment quels étaient les arguments scientifiques, religieux ou politiques des différentes époques évoquées et quid des autres formes de racismes toujours d'actualité, homophobie, antisémitisme, antiféminisme, culturel, social, religieux etc..? Sans oublier que la notion de "sauvage" n'est pas l'apanage de l'Occident, puisque chaque groupe humain a son propre regard sur l'autre, réservé un peu, agressif beaucoup, dominant, énormément. Réussie dans ses propos initiaux, cette exposition ambitieuse a ses limites qui peuvent déranger.

Jusqu'au 3 juin, Musée du quai Branly, Paris 7, www.quaibranly.fr

Commentaires 2
à écrit le 30/03/2012 à 13:36
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Si le sujet vous intéresse : "Zoos humains : l?exposition qui met (très) mal à l?aise" A lire là : http://yahoo.marseille.bondyblog.fr/news/zoos-humains-l-exposition-qui-met-tres-mal-a-l-aise

à écrit le 18/02/2012 à 8:27
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Une expo qui mélange un peu tout....des Africains et autres indiens, aux "monstres" exhibés dans les foires, et jusqu'à des Alsaciens, sous prétexte de reconstitution d'un village alsacien dans une exposition. Qui trop embrasse mal étreint... e...

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