Les énarques qui entourent Barack Obama

Grand reporter pour "Fortune" et "Time", Peter Gumbel est l'auteur de "French Vertigo" (Grasset).

On a parfois l'impression que si les Français devaient choisir entre l'Ecole nationale d'administration (ENA) et la peste, ils n'hésiteraient pas une seconde?: plutôt mourir dans la souffrance que vivre sous le joug de l'arrogance. Les énarques, on ne les aime pas. On n'apprécie guère leur façon de gouverner, leurs réseaux infernaux, leur pensée supposée unique et leur capacité énervante à se protéger mutuellement quand ils font des erreurs.

Pour tous ceux qui pensent ainsi, et vous êtes nombreux, je vous conseille de regarder outre-Atlantique où, quelques semaines avant son entrée en fonction, Barack Obama est en train de composer ses équipes. Car sa façon de faire ressemble davantage à la méthode française, avec son recours aux élites méprisées, qu'aux coutumes d'un président américain.

On a tout lu sur la naissance d'Obama à Hawaii, son enfance en Indonésie et évidemment sa montée en flèche dans la politique nationale. Ce dont on parle moins, ce sont les particularités de son éducation. Brillant, il a très tôt fait fi de sa couleur grâce à ses prouesses intellectuelles. En tant que diplômé de l'université de Columbia, et surtout d'Harvard Law School, un berceau de la vie intellectuelle américaine, il a pu se faire une place dans l'élite du pays. Désormais élu, il est en train d'installer ses pairs dans des positions clés de la nouvelle administration.

Pour la plupart, les gens déjà sélectionnés ou présumés font partie de la même élite, formés surtout par Harvard Law School, ou par son grand rival, Yale Law. Cela commence par sa femme Michelle, qui a également fait ses études à Harvard Law. C'est aussi le cas d'Hillary Clinton (Yale), de ses conseillers en politique internationale Susan Rice (Stanford et Oxford) et Jim Steinberg (Yale Law), et de son équipe économique, presque tous issus d'Harvard, Yale ou MIT. Larry Summers, qui dirigera le Conseil économique national, était même président d'Harvard.

Bref, la prochaine administration sera une équipe élitiste, intégrant les cerveaux les plus brillants du pays. Ceci constitue un changement remarquable car, depuis longtemps, les "grosses têtes" n'étaient pas appréciées à la Maison-Blanche. Ronald Reagan et les Bush, père et fils, ont été tout sauf des intellectuels. Pour eux, l'argent et la loyauté l'emportaient sur l'intelligence. Certes, George W. Bush a fait ses études à Yale, mais ces années-là étaient plutôt marquées par sa capacité à organiser des beuveries qu'à obtenir des résultats satisfaisants. Bill Clinton, boursier à Oxford, avait rompu avec cette tradition, mais son style était celui d'un homme du peuple. Maintenant, avec Obama, c'est la rupture totale. David Brooks, l'éditorialiste conservateur du New York Times, a remarqué avec une petite pointe caustique que le gouvernement d'Obama serait presque français, "dominé par des énarques très formés".

On peut se réjouir de ce basculement car, après une période extrêmement mouvementée et difficile pour le monde entier, il est bon d'être gouverné par des gens de très haute qualité. On peut se réjouir aussi du fait qu'Obama veut éviter l'erreur de Clinton en 1993, c'est-à-dire trop tarder après sa prise de fonction pour avoir une bonne équipe en place et déjà au travail.

L'ironie, c'est qu'au moment où les Etats-unis décident d'imiter les Français en invitant l'élite du pays au sein du gouvernement, les Français vont dans le sens contraire. L'ENA, longtemps le berceau de la vie économico-politico-intello française, est en train d'être démontée peu à peu. On la fustige publiquement à chaque occasion. On l'a bannie loin de Paris. On vient de supprimer son classement. On justifie ces mesures en disant qu'on veut "réformer" l'école. Oui, cela sera bien de donner aux énarques plus d'expérience de l'international et du travail quotidien dans les entreprises privées. Oui, on peut toujours mieux faire. Mais, soyons clair, surtout en temps de crise, il faut cesser d'avoir honte de son élite, et mieux l'apprécier - pour mieux la faire travailler.

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Commentaires 2
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Bonjour, c'est surtout en temps de crise qu'il faut des so lutions innovantes trouvées par des inventeurs et non celles d'une élite qui nous trompe et nous entraine dans les abimes depuis 30 ans .

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Oui, mais Harvard, c'est qd meme beaucoup, beaucoup mieux que l'ena

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