Les affres du capitalisme dynastique

Par Valérie Brunschwig-Segond, journaliste à La Tribune.

Qui n'a rêvé de créer son entreprise pour la transmettre à ses enfants ? Ou plus cyniquement, d'offrir au plus vif d'entre eux sa chance de devenir quelqu'un tout en assurant un avenir aux moins doués ? Seulement voilà : dire au fiston, la main sur l'épaule, "tu vendras des sacs à main comme ton père", ne va pas de soi. La transmission du capital à la chair de sa chair n'est pas chose facile. Ni pour les PME artisanales ni pour les empires présents sur les cinq continents.

Le capitalisme dynastique ne s'improvise guère, comme l'ont bien compris les grandes familles du nord de la France qui l'ont organisé minutieusement avec quelques bonnes vieilles recettes : une fécondité prolifique, pour accroître les chances d'identifier dès ses premiers pas le leader qui saura faire prospérer l'affaire au bénéfice de tous ; la fréquentation assidue, dès le plus jeune âge, de l'usine ou du magasin de famille, et des études bien choisies pour renforcer le métier.

Enfin, quand vient l'heure de l'entrée en scène, un parcours taillé sur mesure pour qu'aucun des secrets de la fortune familiale n'échappe à l'impétrant. Car pour que la vocation aussi soit héréditaire, il faut bien nourrir l'atavisme ! Mais ce n'est pas tout. Ceux qui réussissent à faire passer sans heurts l'entreprise d'une génération à l'autre, sont ceux qui savent aussi créer dans la fratrie un "affectio societatis" : l'engagement professionnel est au c?ur de la culture familiale.

Quand la famille était stable et homogène, quand la continuité de la lignée primait sur les aspirations volatiles de l'individu, conserver l'entreprise dans le giron familial était la priorité naturelle de chacun. Mais les bouleversements sociologiques et économiques des dernières décennies ont fragilisé cette pérennité : entre l'éclatement et la recomposition des familles, l'ouverture du monde qui favorise l'émancipation des esprits et l'aspiration de chacun à poursuivre sa destinée, et enfin l'intérêt croissant pour la liquidité disponible, tout contribue à modifier la démographie du capital.

Certes, les querelles entre héritiers ne datent pas d'hier. Et, le plus souvent, la "raison du capital" l'emporte dans leurs choix. Mais les conflits de stratégie, et surtout les soupçons de partage inéquitable du patrimoine, ont toutes les chances de se multiplier au passage de témoin. Est-ce pour toutes ces raisons que Bill Gates comme Warren Buffett ont choisi de ne pas léguer à leurs enfants leur immense fortune ?

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