Bonus : le paradoxe du détour par l'Europe et le G20

Par Valérie Tandeau de Marsac, avocat, responsable du groupe de réflexion sur les rémunérations des dirigeants au sein du cabinet Jeantet et Associés.

"Il faut mettre un terme au scandale des bonus !" Cette petite phrase prononcée par le président Nicolas Sarkosy lors d'une conférence de presse commune avec la chancelière allemande à Berlin le 31 août dernier témoigne du caractère prioritaire que la France attache à cette question. Nonobstant le fait que la crise n'a pas pour origine les bonus, l'opinion publique est focalisée sur ce sujet sensible. Le pouvoir politique s'en est donc emparé, et, fait nouveau, il l'a fait dans une approche concertée au niveau européen. Cette approche semble pour le moment couronnée de succès, ainsi qu'en témoigne la position commune effectivement adoptée par l'ensemble des pays de l'Union européenne le 18 septembre, en préparation du prochain G20 qui se tient à partir de demain à Pittsburgh.

L'idée française du plafonnement n'a certes pas été retenue, mais tous se sont accordés sur la notion de limitation, l'introduction de critères de performance, la possibilité d'envisager des malus et enfin l'étalement des versements dans le temps, au moins pour partie. Certaines de ces mesures ont même déjà été adoptées par certains pays membres, les Pays-Bas et l'Allemagne notamment. Ce résultat est d'autant plus paradoxal que la question des bonus, et, plus généralement, de la rémunération des dirigeants, n'entre pas stricto sensu dans le champ de compétence de la Commission.

Le rapport Houillon du 4 juillet 2009, relatif à la rémunération des mandataires sociaux, affirmait pourtant le contraire : "toute régulation des rémunérations des dirigeants d'entreprise et des opérateurs financiers a vocation à s'effectuer [au niveau du droit communautaire] avant de se trouver déclinée dans les différents droits nationaux des Vingt-Sept." L'existence d'une recommandation publiée par la Commission le 10 avril 2009 aurait également pu accréditer l'idée que l'Union européenne est compétente pour légiférer sur les rémunérations.

Ce serait oublier, non seulement, qu'une recommandation n'a aucune force obligatoire, mais surtout, que la rémunération des "travailleurs" est expressément exclue de la compétence de l'Union européenne, en vertu de l'article 137 § 5 du traité instituant la Communauté européenne. Le débat sur l'instauration d'un salaire minimum garanti européen a d'ailleurs permis récemment de rappeler ce principe fondamental pour l'analyse juridique de cette question d'une brûlante actualité. Les bonus, en tant qu'accessoires d'un salaire, sont donc en principe exclus du champ de compétence de l'Union européenne à raison de cette disposition, au même titre que les rémunérations versées aux dirigeants.

Pour que l'Union européenne puisse légiférer sur cette question, il faudrait réviser le traité, procédure nécessitant l'unanimité des vingt-sept Etats membres, la réunion d'une conférence intergouvernementale, et la ratification par chacun des Etats selon sa procédure nationale. C'est sans doute pour contourner cet obstacle majeur que les propositions de la Commission relatives à la limitation des bonus des traders ont été insérées, de façon incidente, dans une proposition de modification de la directive sur les fonds propres des banques, publiée en juin 2009.

Cette proposition de directive envisage de donner aux autorités de contrôle nationales le pouvoir de sanctionner les banques qui ne respecteraient pas les nouvelles politiques de rémunération "encourageant le personnel à agir dans l'intérêt à long terme des banques", dont le détail, qui est en phase avec la recommandation déjà citée, figure en annexe du projet de directive.

Ce détour par la réglementation sur la solvabilité des banques, que la Commission a emprunté pour traiter de la question des bonus des traders, est révélateur d'une réalité juridique dont les Etats membres ne semblent pas avoir conscience : en l'état actuel des textes, le salaire des citoyens européens, qu'ils soient traders ou dirigeants salariés, ne peut pas faire l'objet d'une directive européenne.

N'est-il pas dès lors paradoxal de constater que l'élévation du débat au niveau européen a entraîné de nombreux pays membres à prendre des initiatives très contraignantes dans ce domaine pourtant exclu du champ de compétence de l'Union européenne ?

Ne faut-il pas y voir l'émergence, en fait sinon en droit, d'une nouvelle forme de pouvoir ?

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