Prévisions : associer la finance à l'économie

La séparation entre les prévisions économiques et celles portant sur les flux financiers a contribué à aveugler les responsables politiques sur l'arrivée de la crise. Conscientes du problème, les banques centrales réalisent des prévisions sur une douzaine de grandeurs financières, et commencent à les associer aux prévisions de flux réels. Reste à les rendre publiques.

Si la banque fédérale des Etats-Unis avait disposé de prévisions financières suffisamment détaillées, l'éclatement de la bulle des subprimes aurait probablement pu être anticipé et donc amorti. La crise mondiale eût été moins profonde.

Jusqu'à tout récemment, même dans les pays les plus riches, les prévisions économiques réalisées par les instituts statistiques publics comme d'ailleurs par les organismes privés ne portaient généralement que sur des variables non financières correspondant à des flux annuels : production, revenu, consommation, investissement, etc..., pour aboutir à cette fameuse croissance du PIB. L'hypothèse implicitement faite était que les variables financières (crédits aux entreprises et aux ménages, émissions de titres, par exemple) étaient servantes : elles s'ajustaient nécessairement aux variables dites "réelles". Naturellement, la crise récente a amplement montré ce qu'au demeurant on savait depuis longtemps : les variables financières ont leur propre autonomie et elles sont fort capables de brider ou de déséquilibrer la croissance d'un pays.

La séparation entre les variables "réelles" et les variables financières étaient liées, dans tous les pays, au dispositif institutionnel adopté : aux instituts statistiques, l'estimation des variables "réelles", souvent réalisées à partir d'informations de nature fiscale ; aux banques centrales, l'établissement des comptes financiers en utilisant des données transmises par les institutions financières (banques, assurance, etc...). Certains pays avaient essayé de supprimer ce "hiatus" entre les deux types de variables en créant des organismes rassemblant l'ensemble des informations : c'est le cas du Royaume-Uni avec la création de l'Office for National Statistics. Il n'empêche que, même dans ce pays, les prévisions économiques de court ou moyen terme qui étaient publiées ne portaient que sur les variables non financières.

Les choses sont en train de changer et ce sont finalement les banques centrales qui sont en passe d'acquérir la maîtrise à la fois des prévisions économiques et des prévisions financières. Rien d'illogique à cela : les prévisions économiques traditionnelles, avec ou sans modèles, se sont banalisées et les banques centrales restent au c?ur de la collecte des informations financières.

A cet égard, une publication de la BCE du mois d'août dernier est tout à fait explicite (*). Depuis plusieurs années, la Banque centrale européenne réalise, pour la zone euro, des prévisions à un ou deux ans sur une douzaine de grandeurs financières telles que les crédits souscrits par les ménages ou les entreprises, leurs dépôts bancaires, les émissions d'actions ou d'obligations et les réserves techniques des sociétés d'assurances. Certes, les modèles utilisés sont encore un peu frustes ; par exemple, en ce qui concerne les crédits, on ne sait pas s'il s'agit de modèles d'offre par les banques ou de demande par les ménages ou les entreprises. Une distinction entre les différents types de crédit (habitat et consommation, par exemple, pour les ménages) paraît également indispensable. Mais tout cela s'améliorera certainement avec le temps.

Dès maintenant, la BCE se donne, d'autre part, les moyens de prévoir les évolutions de la valeur des patrimoines en utilisant des modèles concernant respectivement le prix des logements anciens et même les indices boursiers. Cela ne s'était jamais fait et correspond à un progrès très important car les déséquilibres dans la composition des bilans patrimoniaux peuvent constituer autant d'indicateurs avancés de crises à venir.

Bien évidemment, les travaux de la BCE ne restent pas isolés. La Réserve fédérale aux Etats-Unis a également des recherches en cours dans ce domaine. Quant aux grandes banques centrales des pays de l'UEM, elles ne sont pas en reste : elles communiquent à présent sur leurs prévisions en matière de croissance du PIB et sont parfois capables, à usage interne, d'associer à ces projections des hypothèses d'évolution des grandeurs financières.

Pour le moment, les projections financières des différentes banques centrales sont en effet réservées aux responsables des politiques monétaires. Il est vrai qu'on en est encore à un stade expérimental. Il est surtout vrai qu'il sera sans doute difficile à ces banques de rendre publiques des prévisions qui portent, entre autres, sur l'évolution des taux d'intérêt, une évolution qui relève de leur propre responsabilité et qui ne peut guère faire l'objet d'anticipations "autorisées". Mais, si l'embargo subsiste sur les prévisions financières réalisées, depuis quelques années, par plusieurs banques centrales, alors les grands organismes financiers, chacun pour soi, et certaines sociétés d'études, pour leurs clients, devront compléter et approfondir les travaux déjà existants dans ce domaine. On voit ce qu'y perdra ce "bien public" que constitue une prévision économique et financière accessible à tous.

(*) "Occasional Papers", n° 105, "Flow-of-funds analysis at the ECB", par L.Bé Duc et G.Le Breton.

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