Pour ceux qui détestent ou encensent le capitalisme

Par Olivier Postel-Vinay, fondateur de la revue Books.

Vous croyez que fumer accroît les dépenses de santé ? Illusion. Qu'utiliser du papier recyclé permet de sauver des arbres ? Balivernes. Que la suppression du périphérique accroîtrait les encombrements à Paris ? Nenni. Vous pensez que la compétitivité internationale est une réalité ? Vous vous trompez. Vous jugez scandaleux qu'une entreprise d'un pays riche exploite les bas salaires et la faible réglementation du travail d'un pays pauvre ? Vous avez tort.

Qu'un philosophe s'intéresse à l'économie, pourquoi pas ? Joseph Heath, de l'université de Toronto, livre un ouvrage décapant, passablement original (*). Dans sa jeunesse (il est encore jeune), Heath militait à gauche. Aujourd'hui, il milite pour l'intelligence et la clarté. Ce qui l'indispose, l'amuse et l'inquiète, c'est l'illettrisme économique. "J'irais jusqu'à dire que presque tout ce que la plupart des gens croient savoir du fonctionnement de l'économie est faux (ou très proche du faux)." Mais en tant que philosophe, que sait-il, lui, de l'économie ? Il a longtemps vécu en Asie, il a réfléchi, et beaucoup lu. Cela suffit, dit-il, car en fin de compte, comprendre l'économie est affaire de bon sens.

L'incompétence économique lui paraît particulièrement bien partagée à gauche, et son livre s'adresse d'abord aux errances des militants de gauche. Mais il consacre la moitié des chapitres à analyser les errances de la pensée conservatrice, de manière non moins savoureuse. C'est là l'originalité du livre : il dérange les deux parties. Sorti au printemps dernier dans la division canadienne d'un grand éditeur américain, il n'a pas encore eu les honneurs de la presse américaine.

Donnons une idée de sa méthode. Dans un chapitre visant les préjugés de la droite, il s'en prend à la croyance selon laquelle taxer fortement les revenus élevés et doper les transferts sociaux est anti-économique. Il prend l'exemple classique d'une société inégalitaire dans laquelle les faibles revenus gagnent moitié moins que leurs homologues dans une société égalitaire. La première croît au rythme de 5%, la seconde au rythme de 0,5% : au bout de seize ans, les faibles revenus de la société inégalitaire dépassent ceux de la société égalitaire. CQFD. Seul problème : les sociétés les plus égalitaires, comme la Suède, sont souvent aussi les plus riches.

En réalité, écrit Heath, les économistes ont montré qu'il n'y a pas de corrélation entre le niveau d'imposition et de transferts sociaux et la croissance du produit intérieur brut par individu. Dans un autre chapitre, il reprend l'exemple des deux sociétés, cette fois pour ridiculiser un préjugé de la gauche : lutter contre les inégalités bénéficierait forcément à la société dans son ensemble. Pour soutenir que l'objectif est d'abord de créer de la croissance, pas des emplois, il cite cette parabole : "un ingénieur en visite en Chine voit une foule d'ouvriers construisant un barrage avec des pics et des pelles. Faisant observer que le travail pourrait être fait en quelques jours avec des bulldozers, on lui répond que cela détruirait beaucoup d'emplois. Ah, dit l'ingénieur, mais si ce sont des emplois que vous voulez, pourquoi ne leur donnez-vous pas des petites cuillères au lieu de pelles ?"

Notre philosophe semble parfois s'égarer, comme lorsqu'il cherche à nous convaincre que l'Etat ne peut en aucun cas être considéré comme un consommateur, ou quand il écrit, à propos de la taxe carbone : "cela ne fait aucune différence si elle est imposée aux consommateurs ou aux entreprises." Reste que l'exercice est globalement des plus salutaires. Le croiriez-vous ? Les préjugés de la droite et ceux de la gauche sont en gros les mêmes dans tous les pays.

 

(*) "Filthy Lucre, Economics for People who Hate Capitalism" (Sale esprit de lucre, l'économie pour ceux qui détestent le capitalisme), HarperCollins 2009.

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