Palinodies françaises face à l'urgence énergétique

Les promesses de la loi de transposition de la première directive européenne sur l'électricité ont laissé la place à la déception. Les difficultés s'expliquent par une absence de vision stratégique et d'arbitrage des gouvernements sur ce qui doit rester sous contrôle de l'État et sur ce qui doit être envisagé dans le cadre d'une Europe des échanges.

Il y a exactement dix ans, le gouvernement de Lionel Jospin avait fait adopter par le parlement la loi de modernisation et de développement du service public de l'électricité. Le texte allait au-delà d'une simple transposition de la première directive électricité de 1996. L'objectif était double : ouvrir le système électrique français en jouant de la solidarité et des complémentarités européennes entre les différents systèmes énergétiques et, dans le même temps, conforter une avance technique et industrielle et garantir en France un service public moderne.

En pratique, cette loi permettait l'entrée sur le marché de nouveaux producteurs, créait une Autorité de régulation indépendante, la Commission de régulation de l'énergie (CRE), et elle détaillait précisément les missions de service public, et les investissements dans le secteur, notamment ceux de l'ancienne activité transport d'EDF, séparée progressivement de la production pour créer, au 1er juillet 2000, une entreprise publique autonome, RTE.

Aujourd'hui, les promesses ont fait place à beaucoup de déception : sentiment de hausse des prix, amélioration très relative de la qualité pour le consommateur, critiques sur la faiblesse des investissements et la démarche "court-termiste" des entreprises du secteur, peu tournées vers une vision déterminée de l'avenir énergétique qui dépasse le jeu du marché. Prise dans le chevauchement complexe entre public et privé, entre vision régulée et concurrentielle, la France énergétique est au "milieu du gué" : où l'Etat place-t-il le "curseur" entre son rôle d'actionnaire majoritaire, les préoccupations immédiates et ses missions régaliennes de long terme ? Faut-il stopper le processus, revenir en arrière, aller plus loin ?

Mon diagnostic est que toutes les difficultés rencontrées relèvent avant tout d'une absence de vision stratégique et d'arbitrage des gouvernements entre ce qui, d'une part, est et doit rester, à moyen-long terme, sous le contrôle de l'Etat ou d'un régulateur indépendant, et ce qui, d'autre part, doit être envisagé, désormais, dans le cadre d'une Europe des échanges, ouverts et loyaux, pour laquelle notre pays dispose d'atouts essentiels. Faute d'avoir clairement fait le choix entre les deux options, on mélange allègrement les deux, sans arriver à remettre le public et le privé à leur juste place, c'est-à-dire en risquant à la fois d'amodier les qualités du service public énergétique (notamment dans la production et la distribution), d'échouer dans la "mise en orbite" européenne de nos deux principaux opérateurs nationaux, EDF et GDF Suez, et de refermer notre pays dans une vision hexagonale stérile.

Les semaines écoulées, marquées par des importations massives, nous ont montré à quel point l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité était devenu fragile. Il faut d'urgence que l'Etat se préoccupe de ces questions, favorise des investissements allant vers des capacités de production de pointe, s'engage pour des effacements de consommation conséquents et incite activement nos concitoyens à se tourner vers l'économie d'énergie et à doter le modèle énergétique français d'une originalité renouvelée. Comment insérer les options de court terme dans la dynamique longue du développement durable ? Comment concilier l'ouverture européenne à la concurrence, avec la nécessaire prise en compte de l'intérêt général, l'indépendance énergétique avec la sécurité d'approvisionnement ? Comment faire en sorte que la France conserve sa prédominance mondiale dans la technologie nucléaire qui permet de concilier croissance et responsabilité environnementale ? Comment revenir dans les énergies renouvelables ?

Aucune de ces questions ne trouve réponse dans le "patriotisme énergétique" du moment. Carrefour géographique de l'Europe énergétique, la France mérite mieux. Ce "new deal" énergétique, notre pays ne le portera pas sans une réelle ambition européenne. A la fois pour régler la question de la sécurité d'approvisionnement, à l'échelle des Vingt-Sept et pour réguler les relations avec la Russie et la Caspienne. Les réponses ne sont pas techniques : elles doivent exprimer, comme avec l'euro il y a dix ans, une vraie volonté politique européenne.

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