La taxe carbone victime de l'étalement urbain

Par Guillaume Sainteny, maître de conférences à l'Ecole polytechnique.

La taxe carbone suspendue, l'heure n'est plus à jauger de sa pertinence. En revanche, la subordination de son entrée en vigueur à sa mise en oeuvre au niveau européen ne dispense pas de résoudre les facteurs de son rejet. Car, cadre européen ou pas, les mêmes causes risquent fort de produire les mêmes effets demain. En dehors de la question de la compétitivité, une des faiblesses potentielles de la taxe tenait à ses modalités de compensation. Ses effets sociaux, découlant de la plus forte part des dépenses énergétiques dans le revenu des ménages modestes, pouvaient être neutralisés sans trop de complexité. En revanche, la compensation des effets de la taxe découlant de la localisation géographique semblait beaucoup plus délicate.

D'un côté, les habitants des zones rurales et des petites villes consacrent, en moyenne, une part plus importante de leur revenu aux dépenses énergétiques que les habitants urbains. Le prélèvement de la taxe aurait donc été plus important, en termes relatifs, sur les premiers. En termes d'équité, ceux-ci méritaient donc compensation. D'un autre côté, ce type de compensation risquait d'être contre-productif d'un point de vue environnemental. Il aurait diminué le signal prix et aurait constitué une quasi-incitation aux déplacements individuels (alors même que le secteur des transports est aujourd'hui le plus gros émetteur de CO2 en France - 40% du total - et celui qui croît le plus vite) et à l'étalement urbain, lui-même cause majeure de l'accroissement des dépenses énergétiques et des émissions de CO2 ces dernières décennies. Ces compensations risquaient donc d'entretenir des situations structurellement favorables à la dépense énergétique et à l'émission de CO2, alors que le but initial de la taxe était d'inciter à leur diminution.

Si ce problème est si difficile à résoudre, c'est que plusieurs politiques sectorielles non coordonnées entre elles l'ont accru depuis plusieurs décennies. Dans le domaine de l'urbanisme, l'élévation du coût du foncier en centre-ville, le moindre coût à l'achat ou à la location en périphérie, le développement du crédit immobilier se sont conjugués avec les effets de politiques réglementaires et fiscales (réglementation malthusienne en matière de densité urbaine, prêts à taux zéro, régime fiscal d'aide à l'investissement immobilier locatif dans le neuf dans des zones à faible densité et à faible demande) pour pousser à l'étalement urbain.

Or, ces zones d'étalement urbain sont naturellement moins desservies en transports collectifs, pour des raisons à la fois historiques et économiques. Leurs habitants sont donc structurellement davantage dépendants du véhicule individuel pour leurs déplacements professionnels ou autres. La motorisation est d'autant plus élevée qu'on s'éloigne du centre-ville : le taux de ménages sans véhicules tombe d'un tiers en centre-ville à 12% en zone périurbaine. Dès lors, lorsque le prix des carburants augmente, comme en 2007-2008, les ménages périurbains se trouvent "piégés" dans leur zone de résidence et le coût global (achat ou location + annuités du crédit + entretien de l'habitation + déplacements) peut devenir supérieur à celui d'un logement en centre-ville, sur le long terme, les rendant "perdants" socialement. Le "verdissement" du crédit d'impôt Tepa et des régimes de l'immobilier locatif neuf, en 2008, ne résout pas le problème puisque aucun critère de localisation n'a été imposé à cette occasion. Telle qu'elle était conçue, la taxe carbone paraissait partiellement contradictoire avec les régimes fiscaux de l'immobilier locatif, même récemment "verdis".

Dès lors, une meilleure acceptation d'une taxe carbone - même géographiquement compensée - destinée à agir sur la demande, aurait supposé et supposera, cadre européen ou non, d'agir sur l'offre, parallèlement ou, de préférence, préalablement à l'instauration d'une taxe. Il s'agit de proposer aux ménages des possibilités de substitution entre types de carburants, entre déplacements individuels et transports collectifs, de favoriser la relocalisation en centre-ville, notamment par une fiscalité locale différenciée ou des PTZ majorés (comme l'ont déjà fait certaines villes ou départements : Orléans, Nantes, Paris, le département des Hauts-de-Seine), de développer des formes d'habitat intermédiaire comme le petit collectif ou l'individuel groupé, de développer au besoin des critères de localisation pour certaines aides, en couplant davantage politique de l'urbanisme et politique des transports.

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Commentaire 1
à écrit le 14/04/2010 à 5:14
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Oui mais...Le but d'un signal prix est de matérialiser une contrainte. Effectivement avec la taxe les "péri-urbains" sont contraints, et c'est par ce type de contrainte que l'on peut amener des réactions. Par exemple : les décideurs publics sont alor...

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