L'avenir du football vu du petit écran

Par Olivier Babeau, professeur de stratégie d'entreprise, université de Paris VIII.

Sport réunissant des centaines de milliers de fans en France, le football professionnel traverse pourtant, depuis la défection annoncée de la chaîne sportive d'Orange, une crise sans précédent de son modèle économique. Pour produire ce formidable spectacle durant toute une saison, les coûts supportés par les clubs sont toujours plus élevés, alors même que les recettes, consistant majoritairement en droits de retransmission audiovisuelle négociés, risquent d'être revues à la baisse en 2012. Le retour à une situation de monopsone (monopole à l'achat) de Canal Plus va en effet donner à la chaîne cryptée un pouvoir de négociation sur le montant des droits bien plus élevé que s'il demeurait en situation concurrentielle.

Pour maintenir le niveau des recettes du secteur, la Ligue du football professionnel (LFP) a laissé entendre depuis quelques mois qu'elle pourrait assurer elle-même la diffusion des matchs en créant sa propre chaîne de télévision accessible sur la TNT. Terreur des chaînes (Canal Plus en tête), étonnement et cris des clubs eux-mêmes. De manière plus surprenante, les ennemis de cette décision invoquent la « rationalité économique », au risque d'accomplir un contresens fâcheux. Il n'est pas possible, en toute rigueur, de disqualifier a priori l'idée d'une intégration aval du football professionnel. Une entreprise est fondamentalement amenée à réaliser deux choix lorsqu'elle détermine sa stratégie : son degré de diversification, d'une part, son degré d'intégration d'autre part. Dans ce dernier cas, la coutume est souvent hâtivement confondue avec la logique stratégique. Il n'est pas plus inepte pour la LFP de vouloir proposer elle-même les matchs que pour Canal Plus, diffuseur, de vouloir gérer ou créer des événements sportifs. Ce ne sont pas des confusions de rôles, mais des choix stratégiques. Lorsque la LFP a commencé de produire elle-même les images de ses matchs, le même type d'arguments avait été avancé ; aujourd'hui, sa production sert de modèle à d'autres institutions sportives...

L'intégration aval est un outil permettant la désintermédiation (en récupérant une partie de la valeur ajoutée captée par les intermédiaires). Elle favorise également la fidélisation, nouant elle-même une relation directe avec ses clients finaux (en l'occurrence, les nombreux fans de football). C'est ce que fait une entreprise qui décide de ne plus vendre par l'entremise de ses détaillants mais de distribuer elle-même en créant sa plate-forme de vente ou ses magasins : LVMH, propriétaire des parfums Dior et Guerlain, en rachetant Sephora ; ou bien Samsung, à l'origine simple fabricant de semi-conducteurs et de composants de radiocommunication, en devenant constructeur d'ordinateurs et de téléphones mobiles.

En proposant un accès premium aux matchs de football des Ligues 1 et 2, la chaîne créerait un produit attractif permettant à la fois une monétisation directe auprès des spectateurs et une vente parallèle de droits pour certains matchs. Alors qu'Orange Sport a pu, avec un seul match premium le samedi, convaincre 10 % de ses abonnés (300.000 environ sur ses 3 millions de clients à la télévision), on imagine quelle attractivité aura une chaîne entièrement consacrée au football et largement distribuée. La meilleure preuve de la pertinence d'une telle option nous vient des États-Unis : la NBA dispose de ses propres chaînes, ce qui ne l'empêche nullement de vendre par ailleurs des droits à d'autres chaînes de télévision.

L'opération, si elle est stratégiquement pertinente, devra néanmoins être réalisée avec des partenaires expérimentés. Les candidats ne manqueront sans doute pas. Les critiques qui ont émané de différentes instances reflètent plus les intérêts économiques ou politiques de ceux qui craignent une telle décision qu'une réelle condamnation de la logique stratégique intrinsèque de l'opération. Les enjeux énormes et la passion qui entourent le football ne doivent pas faire oublier qu'il s'agit d'un secteur économique à part entière où les lois de la prospérité ne sont pas différentes des autres.

 

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