Pourquoi l'Allemagne devrait être plus solidaire de l'Europe

Débattre de ce que l'Union monétaire a apporté à chacun de ses membres est une bonne chose. Mais l'argumentation récemment développée par l'économiste Hans-Werner Sinn, président de l'institut allemand IFO, pour montrer que l'Allemagne n'est pas « la grande bénéficiaire de l'euro » laisse pantois
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Il explique ainsi que, en dégageant depuis la naissance de l'euro des excédents commerciaux, l'Allemagne a cédé au reste de l'Europe ce qu'il y a de plus précieux pour une économie capitaliste : son épargne. Jugeant à partir du début des années 2000 leur « Standort » moins attirant, les entreprises allemandes y ont réduit leurs investissements et les capitaux ont quitté le pays. Cette transfusion d'épargne allemande a permis aux pays du sud de l'Europe, en particulier, de connaître, pour quelques années au moins, une conjoncture florissante tandis que l'Allemagne, saignée par ces sorties de capitaux, plongeait dans un marasme dont elle vient seulement de sortir. Ainsi racontée, l'histoire arracherait presque des larmes ! Correspond-elle vraiment à la réalité ?

Lorsque, au début des années 2000, la conjoncture mondiale s'est retournée, les entreprises allemandes qui, comme partout, avaient pendant la formation de la bulle Internet emprunté et investi à l'excès, ont brutalement arrêté de le faire. Mais alors que, en beaucoup d'endroits, le choc déflationniste lié à l'éclatement de cette bulle a été amorti par une montée de l'endettement des ménages, cela n'a pu être le cas outre-Rhin : dans le sillage de la réunification, les ménages allemands s'étaient déjà massivement endettés et l'affaissement de l'activité du début des années 2000 s'est accompagné d'un ralentissement de leur endettement. Ainsi, alors que, entre 1992 et 2000, leur encours de dette a augmenté chaque année en moyenne de plus de 4 points de PIB, ce rythme va tomber à zéro en 2005. Cette réduction continue du flux d'emprunt des ménages explique une bonne part du trop-plein d'épargne qui se forme en Allemagne à partir du début des années 2000. Que cette dernière ait pu exporter cet excédent - plus d'ailleurs par le biais de prêts à court terme de ses banques que par les investissements directs de ses entreprises -, loin de l'affaiblir, l'a au contraire sauvée. Si l'épargne est bien un « élixir » pour les économies qui en manquent, elle est, pour celles qui tendent à en dégager trop, un poison qu'elles doivent parvenir à éliminer !

En permettant pendant une dizaine d'années à l'Allemagne d'exporter son épargne excédentaire en dégageant un excédent commercial croissant sur ses partenaires européens, l'Union monétaire lui a évité de connaître une déflation semblable à celle qui a frappé le Japon pendant les années 1990. Sans faire forcément d'elle la « principale bénéficiaire de l'euro », cela suffirait à justifier qu'elle aide aujourd'hui les autres pays de l'Union à faire face au choc déflationniste auquel ils sont à leur tour confrontés. Lui demander de devenir moins compétitive est absurde. Ce qui pose un problème à l'Europe n'est pas que l'Allemagne ait gagné en compétitivité mais que ses agents dépensent une partie trop faible de ce qu'ils gagnent. Si aucun gouvernement ne peut décider de la dépense de ses agents privés, il le peut toutefois pour celle de l'État. Or l'État allemand est aujourd'hui, de tous ceux des grandes économies développées, celui qui a le moins d'effort à faire pour mettre son endettement sur une trajectoire soutenable. En continuant de retarder le moment où son budget va devenir restrictif, il peut aider les pays où les déséquilibres budgétaires doivent être plus rapidement corrigés à ne pas être happés par une spirale récessive.

L'Union a créé entre ses membres une solidarité de fait. La meilleure façon d'éviter qu'elle ne devienne une « union de transfert » est d'accepter cette solidarité et de l'organiser. La crise de la dette souveraine nous y a forcés : en mettant en place un mécanisme de garantie collective assorti d'une forte conditionnalité, l'Europe a avancé dans la bonne direction. Elle continue de le faire en voulant renforcer les sanctions à l'égard de ses membres qui ne respecteraient pas leurs engagements. Mais en refusant d'utiliser au mieux les marges de manoeuvre budgétaires dont chacun de ses membres dispose, elle se prive, dans un environnement mondial particulièrement incertain, d'un instrument de réglage de sa conjoncture. Si elle n'y prend garde, elle risque demain d'avoir à exporter des excédents d'épargne que personne cette fois ne sera prêt à absorber.

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