Sauver l'industrie européenne

Comment enrayer le déclin industriel de l'Europe ? La question était au coeur de la table ronde organisée mardi par Roland Berger, La Tribune et HEC. Après un état des lieux sans concessions, les dirigeants interrogés ont esquissé des pistes. Instructif.
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Europe, ton industrie fout le camp ! Le constat n'est certes pas nouveau. Mais les chiffres rappelés mardi soir par Vincent Mercier, membre du comité exécutif du cabinet Roland Berger, lors des 6es Rencontres de l'entreprise européenne organisées en partenariat avec « La Tribune » et HEC, donnent froid dans le dos. « Entre 1975 et 2009, la France est passée de 5,8 à 3,5 millions d'emplois industriels », a-t-il détaillé. En Grande-Bretagne, la perte était de 4,1 millions tandis que l'Allemagne limitait la casse, en passant de 9,1 à 8,5 millions. « Mais, dans le même temps, la Chine a créé 48 millions d'emplois industriels », selon Vincent Mercier. Imparable.

Les causes de cette désindustrialisation ont été largement analysées : un coût de l'heure de travail trop élevé, « 22 euros en France, 19,6 euros dans l'ensemble de l'Union européenne et 2 euros en Chine », selon Roland Berger ; un poids de la sphère publique trop élevé ; et sans doute aussi, dans l'Hexagone, une moindre attention à l'industrie. En règle générale, « l'Allemagne pense plutôt production industrielle, quand la France pense plutôt consommation », a expliqué l'Allemand Franck Esser, PDG de SFR, lors du débat organisé au Centre Pompidou, à Paris.

Pourtant, le Vieux Continent abrite 42 des 100 premiers groupes mondiaux. « Et le désir d'Europe reste très fort chez les investisseurs asiatiques », remarque Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers. De plus, la force d'une industrie ne se mesure pas seulement aux emplois dans les usines. « En Europe, nous avons de moins en moins d'ouvriers, mais nos effectifs sont restés constants », tempère Xavier Fontanet, président d'Essilor, pour qui « c'est en conquérant le monde qu'on restera industriel en Europe ». Quant à Patrick Pelata, directeur général délégué de Renault, il préfère se référer à la notion de valeur ajoutée. Et d'appliquer à sa Logan, assemblée en Roumanie, le petit calcul effectué récemment par Pascal Lamy, directeur général de l'OMC, à propos de la fabrication de l'iPod d'Apple (14.000 emplois générés aux États-Unis, contre 27.000 ailleurs, mais avec une valeur ajoutée près de trois fois supérieure sur le sol américain). « Pour la Logan, le solde pour la France est positif en valeur ajoutée », assure le numéro deux de Renault qui intègre tout dans son calcul, de la recherche effectuée sur le véhicule au travail de planification en passant par les composants fabriqués en France.

Faut-il pour autant se résigner à voir se vider les usines hexagonales ? « L'un des grands leviers pour maintenir une base de production forte en Europe, c'est l'excellence industrielle », insiste Michel Rollier, gérant associé du groupe Michelin, qui a engagé des « efforts colossaux » pour rationaliser ses sites du Vieux Continent. Mais « une mauvaise réponse, ce serait de penser que nous sommes protégés parce que nous fabriquons les produits les meilleurs, poursuit le dirigeant. Car Michelin fabrique les mêmes pneus en Chine, avec le même niveau d'excellence ».

Au-delà, tous les industriels citent l'innovation comme parade. Les gouvernements et Bruxelles peuvent agir en la matière, via le crédit d'impôt recherche notamment, « mais ils doivent soutenir les entreprises les plus fortes », martèle Fabrice Brégier, le patron opérationnel d'Airbus. « L'investissement doit être fait sur ceux qui veulent gagner », renchérit Bernard Charlès, directeur général de Dassault Systèmes. Innover dans quels domaines ? Pour Clara Gaymard, présidente de General Electric en France, « l'Europe a gardé des poches de savoir dans le transport, l'énergie, la santé », et développé ainsi un modèle européen de gestion des villes. Elle a donc une carte forte à jouer car « 80 % de la croissance future va se faire dans les villes ».

Les coopérations entre groupes européens sont évoquées aussi. Mais timidement. Fabrice Brégier juge le modèle Airbus très performant désormais, avec 15.000 emplois nets créés ces dernières années. Transposable à d'autres ? « On ne peut pas forcer les entreprises à fusionner. Il faut qu'il y ait un intérêt et une volonté des parties », répond-il.

La parade idéale reste à trouver. Mais vite. « La Chine est déjà le pays le plus avancé au monde dans l'hydroélectricité, assène Bernard Charlès, de retour d'un voyage sur place. Et les initiatives les plus avancées d'automatisation de la production, ce sont les sous-traitants chinois d'Apple qui les développent. La réindustrialisation de l'Europe va donc dépendre de sa capacité à imaginer le futur. » Rien de moins.

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