Le progrès, une idée neuve

L'Institut Diderot a choisi comme thème de sa première conférence plénière, qui se tient aujourd'hui au palais du Luxembourg, "L'avenir du progrès". Un concept de plus en plus contesté, dont il est utile de rappeler la brûlante actualité.
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L'idée de progrès s'est développée à partir de la remise en cause de la scolastique par une approche scientifique nouvelle, expérimentale, basée notamment sur les principes énoncés par Francis Bacon à partir du début du XVIIe siècle. Progressivement, tout pas en avant dans la connaissance a été réputé un pas vers le mieux-être en raison du champ d'innovations techniques qu'il ouvrait et de l'affranchissement des contraintes de la nature que celles-ci permettaient.

Le progrès social apparaissait donc comme une conséquence logique de celui des connaissances et l'espoir d'une amélioration dans l'organisation de la cité comme légitime. Ce credo est désormais remis en cause et cède la place à une croyance opposée : la science et la technologie sont tenues responsables du changement climatique, de la pollution, de la dégradation des sols, de la surexploitation des ressources, d'atteintes à la biodiversité rendant progressivement la Terre invivable, en même temps qu'elles aliènent l'homme en le réduisant, en tant que travailleur, au rôle d'instrument, et en tant que membre de la société, à celui de consommateur.

L'industrie serait donc la source de tous les maux, et derrière elle, la prétention de la science et des scientifiques à la connaissance dissimulerait mal leur subordination à ses intérêts. La philosophie sociale fondant sur le progrès la promesse d'un avenir radieux de l'humanité ne serait qu'illusion ou tromperie.

Faute de pouvoir imaginer comment accélérer l'amélioration des conditions de vie, les penseurs de l'Antiquité ont exprimé le désir d'un progrès humain basé seulement sur la connaissance, la morale et l'organisation sociale et ont formulé des recommandations dans ce sens. Mais lorsque le progrès matériel s'est accéléré grâce à la science et à la technologie, l'idée d'un lien nécessaire avec le développement humain s'est rapidement imposée au point de devenir au XIXe siècle le centre de la pensée et de focaliser toutes les énergies.

La remise en cause d'aujourd'hui présente de nombreux aspects paradoxaux : nos contemporains, qui ont approuvé l'inscription du principe de précaution dans le préambule de la Constitution et témoigné ainsi de la supériorité de leur crainte de l'incertain sur l'attrait de l'inconnu qui les a longtemps motivés, attendent avec passion la nouvelle thérapie qui guérira leur cancer et refusent la recherche qui permettrait de la concevoir, font une utilisation massive du téléphone mobile et s'opposent à l'installation des équipements nécessaires à son fonctionnement. Plus généralement, ils veulent ignorer les liens de cause à effet entre l'objet de leurs craintes et celui de leurs désirs ou, individualisme aidant, souhaitent que d'autres qu'eux en assument les effets négatifs.

Les populations nombreuses, qui ont été tenues à l'écart du progrès tel que l'ont conçu les sociétés occidentales et en ont même pâti du fait que leur faiblesse technologique et économique a permis leur assujettissement aux premières, demandent désormais à en bénéficier et crient à l'hypocrisie : la revendication chinoise d'un droit au développement présentée à la conférence de Copenhague sur le climat l'a parfaitement illustré.

Les pays nouveaux qui accèdent ainsi au droit de parole n'ignorent pas les risques et les conséquences négatives que le progrès entraîne dans son sillage et n'y sont pas indifférents : ils savent que l'atteinte par eux d'un niveau de consommation alimentaire ou de confort supérieur va renforcer les contraintes sur les ressources non renouvelables, sur les sols, sur l'eau, mais ils affirment avec force l'impérieux besoin de continuer à desserrer l'étau de la nécessité pour le plus grand nombre ; ils témoignent dans le même temps de leur confiance dans la capacité de la science et des technologies de résoudre les problèmes à venir comme ceux du passé : beaucoup d'entre eux sont d'ailleurs disposés à jouer un rôle, voire à prendre le relais dans cet effort pour un progrès universel et durable. La position des autorités américaines n'est pas différente ; le président Obama dans une adresse récente au Congrès ne disait-il pas que l'Amérique devait renforcer sa recherche du progrès par la science, la technologie et l'éducation pour que le peuple américain vive mieux et continue à être le phare du monde ?

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