Quand réglementation rime avec questions

Les nouvelles réglementations dans l'industrie financière ont du sens mais elles peuvent produire des effets collatéraux qui nuisent à l'objectif visé. À moins que ce dernier ne soit finalement le rachat d'une conscience et non véritablement l'intérêt général.
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Les discours éthiques et moraux ont rarement eu autant le vent en poupe. L'enrichissement du prédateur financier est montré du doigt et la morale s'impose dans le débat politique et législatif, au point de faire du contrôle de la finance un mot d'ordre sociétal.

La régulation financière, fer de lance des discussions du G20 et de Davos, se veut donc être une véritable médecine contre le mal de la spéculation et ses effets néfastes. Mais, voilà, se pose-t-on seulement la bonne question ? Le problème est-il réellement là où tout le monde semble s'accorder à le voir ? Faut-il à tout prix « contrôler la finance » et les mesures de régulation proposées sont-elles à la mesure des enjeux ?

La réponse la plus immédiate du politique à la crise fut d'encadrer, voire de limiter, les rémunérations, les fameux « bonus », dont le niveau élevé pouvait apparaître comme intolérable. De fait, le débat sur les causes de la crise, entre l'irresponsabilité des financiers ou le niveau de surendettement atteint par tous les acteurs économiques, des États au consommateur final, a été vite tranché. Cette forme de pouvoir sans limites attribué aux financiers pourrait même être assimilée, en psychanalyse, à la croyance de la « toute puissance ». Certes, les valeurs de réussite personnelle au sein des institutions financières ont pu mener à des comportements irresponsables par la création de produits trop risqués.

Mais nous devons nous demander à qui « profite le crime », autrement dit, d'une croissance historique, largement alimentée par les mécanismes d'endettement et d'effet de levier.

Dans un second temps, les règles prudentielles ont été renforcées avec pour objectif d'améliorer la solvabilité des banques et des compagnies d'assurances. Les accords dits de Bâle III et de Solvency II, en cours de transposition dans le droit communautaire, visent donc à augmenter les fonds propres et réduire le risque de liquidité. Rappelons pourtant que les assureurs français ont été assez bien préservés de la crise par leur gestion prudente et les errements d'AIG, ne se sont en aucun cas propagés en France, voire en Europe. Le besoin impératif de couvrir ses engagements futurs par des fonds propres n'est guère contestable. Vouloir protéger aussi bien le système financier que le particulier est un objectif aussi sensé que nécessaire. Cependant, pour ce faire, les nouvelles règles prudentielles ont été fondées sur des présomptions actuarielles passées et sur une base de calcul qui ne prend pas en compte des perspectives futures ou des conditions de marché différentes.

Il peut alors s'ensuivre la création de nouveaux « risques » non révélés par les statistiques. Par exemple, la surexposition imposée aux emprunts d'États européens semble ignorer le risque souverain que nous connaissons aujourd'hui. Un manque à gagner en période d'intérêt réel très faible peut aussi engendrer une baisse sensible de rentabilité des banques. Et cela pourrait avoir pour conséquence de freiner le financement de l'économie ou de compenser, par des taux de crédit plus élevés, le manque à gagner. Bref, de pénaliser le consommateur final et de remettre en cause le principe d'une « finance saine » au service de l'économie.

Le renforcement de la supervision financière, nouveau credo des politiques et des régulateurs, poursuit également des objectifs louables, comme améliorer la transparence des produits financiers ou lutter contre la spéculation. Un nouvel organe européen, le Comité européen pour le risque systémique, est venu agrandir la liste (déjà longue) d'institutions ou comités impliqués dans le nouveau processus de régulation. Face à la complexité, bien réelle, du système financier, on peut rester dubitatif sur l'efficacité future de cette multiplicité d'autorités de tutelle nationales et internationales, dont les frontières et les compétences restent toujours à préciser. On peut néanmoins se satisfaire de la création d'un comité européen qui marque une volonté de régulation macroprudentielle au-delà d'une régulation microprudentielle au niveau des banques.

Il reste à connaître les effets collatéraux qui ne manqueront pas de survenir avec la mise en place de toutes ces nouvelles règles. Leur temps d'application est suffisamment long pour permettre aux institutions financières de s'adapter et créer, si besoin est, des solutions encore plus complexes pour échapper au régulateur. À vouloir éviter le « shadow banking system », le risque au final est bel et bien de le renforcer.

Ainsi, pour reprendre une citation de John Maynard Keynes, « le risque d'une prédominance de la spéculation tend à grandir à mesure que l'organisation des marchés progresse ». Finalement, sur un plan moral, on pourrait même se demander si les réformes n'ont pas aussi pour objectif le rachat d'une conscience alors même que le résultat escompté sur l'intérêt général reste encore à prouver. D'autres questions éthiques sur le laisser-faire des activités financières à caractère spéculatif, notamment sur les matières premières, n'ont pas encore trouvé de réponses. Un travail complexe reste donc à mener en matière de régulation afin de poser des limites au comportement de certains acteurs sans pénaliser l'ensemble de l'industrie financière ou créer une nouvelle complexité dont les marchés auront, une fois de plus, le dernier mot.

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