La société civile réinvestit la finance

Par Eric Benhamou, éditorialiste
Copyright Reuters

L'appel d'Éric Cantona a ouvert la voie. Son initiative nous invitant à vider nos comptes a été moquée, mais les banques l'ont prise suffisamment au sérieux pour s'en émouvoir. Elles savent mieux que quiconque que l'ancien footballeur a mis le doigt là où cela pouvait faire mal, sur un nouvel activisme. Demain, les opérations « coups-de-poing » pourraient se multiplier. Imaginez : une bâche géante déployée sur les façades de BNP Paribas ou du Crédit Agricolegricole par des militants cagoulés en rappel pour dénoncer le non-respect des « Principes de l'Équateur », qui engagent le secteur financier sur les risques sociaux et environnementaux du financement de projet. Ou bien un lancer de billets de Monopoly sur la City contre les bonus indécents. Et pourquoi pas le blocage par des militants enchaînés de la Commission européenne pour interdire les « dark pools ».

Ces opérations commandos, en droite ligne des techniques de Greenpeace, étaient hier impensables dans l'univers hermétique et feutré de la finance ; demain, elles pourraient s'afficher à la une des journaux télévisés.

La banque a toujours eu mauvaise presse, en particulier en France. Mais entre les « associations d'usagers » des banques engagées dans la défense du consommateur et les « alters » qui prônent la fin pure et simple d'un système, celui du « consensus de Washington », la finance a pu prospérer en toute quiétude, à l'ombre d'une opinion publique indifférente ou noyée sous la complexité (soigneusement entretenue) du sujet. Entre le guichet et la taxe Tobin, la société civile n'avait pas droit de cité. Le résultat : un déficit démocratique permanent quant à la compréhension de l'économie en général, et de la finance en particulier. Paradoxalement, c'est la crise financière qui va peut-être le combler. Elle a suscité une soif de connaissance, une volonté de comprendre des sujets complexes et d'appréhender toutes leurs conséquences sur nos sociétés. Les best-sellers sur Wall Street comme « The Big Short » ou le succès du documentaire « Inside Job » en témoignent. Certes, ceux qui veulent mieux comprendre les mécanismes de la finance sont encore minoritaires.

Mais à travers livres, films et surtout blogs, la réflexion mûrit, les critiques fusent, les propositions se structurent, la volonté de réagir se manifeste. Il y a une (ré)appropriation progressive de la question financière par des non-financiers : ces gens de bonne volonté qui ont déjà réussi à faire bouger les lignes sur des sujets aussi techniques que le climat, la santé, la biodiversité, les aliments ou le nucléaire. L'enjeu est de contester la toute-puissance des banques sur la finance sans pour autant céder à la démagogie.

Le mouvement est en marche. Même des personnalités du sérail se sont mises bruyamment à douter, comme Adair Turner, président de la Financial Services Autorithy, sur l'excroissance de la finance, ou Mervyn King, gouverneur de la Banque d'Angleterre, sur l'impossibilité de réguler les marchés. Remettant en cause le modèle bancaire mondialisé tel qu'il s'est construit ces trente dernières années.

La société civile commence à prendre le relais. Les Amis de la Terre lancent un site pédagogique, Financeresponsable.org, « pour appeler à l'action ». Le collectif Sauvons les riches invite les citoyens à changer de banque en rappelant que certaines sont responsables de la crise et d'autres « responsables tout court ». Créée récemment sur une idée de l'eurodéputé écologiste Pascal Canfin, une nouvelle ONG, Finance Watch, entend produire une contre-expertise crédible face aux lobbies bancaires. Cette initiative, soutenue par des élus européens, réinvestit un terrain politique jusqu'ici abandonné aux seuls experts « embedded », subventionnés par les établissements financiers.

Ce contre-feu encore frémissant sera d'autant plus retentissant qu'il braque les projecteurs sur un monde habitué à prospérer à huis clos, à l'abri des équations et des formules absconses. Fini l'« entre-soi » et l'extraterritorialité, comme dans de nombreux autres secteurs de l'économie (mines, pharmacie...), les citoyens s'invitent à la table des négociations sur le rôle sociétal des acteurs financiers.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.