Electricité : risque nucléaire ou réchauffement climatique ?

Par Claude Crampes, professeur à l'Ecole d'économie de Toulouse (TSE).
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Trois jours avant la catastrophe qui a frappé le nord du Japon, la Commission européenne publiait une "Feuille de route vers une économie compétitive à faible intensité de carbone à l'horizon 2050". Dans ce document, la Commission calcule que les émissions de CO2 dans l'Union européenne de 2050 ne devront représenter que 20% de celles de 1990 si l'on veut tenir les engagements pris pour limiter le réchauffement climatique. Les plus fortes réductions d'émissions attendues concernent le secteur de l'électricité pour lequel, selon la Commission, "la décarbonisation sera quasiment acquise en 2050" grâce à l'utilisation de technologies diversifiées : captage-stockage du carbone, meilleure maîtrise de la demande, énergies renouvelables... et énergie nucléaire. Cependant, si les craintes provoquées par l'accident de Fukushima devaient remettre en cause la contribution de cette dernière filière à la production d'électricité, on voit mal comment les objectifs européens pourraient être respectés.

Plus de la moitié de l'électricité aujourd'hui consommée dans l'Union vient d'installations thermiques émettrices de CO2. Pour continuer à produire avec ces centrales en limitant les émissions, on ne peut que s'en remettre aux technologies encore balbutiantes de captage et stockage du carbone dans le sous-sol, ce qui provoquera presque certainement un refus des populations habitant à proximité, et donc délais et coûts supplémentaires. En ce qui concerne de possibles économies, accroître l'efficacité énergétique des bâtiments est une excellente idée, mais pour le long terme seulement car le taux de renouvellement de l'habitat est à peine de 1% par an. 

Acourt terme, des comportements moins gourmands en énergie soutenus par des compteurs communicants et des boîtiers électroniques de contrôle permettront surtout de passer les périodes de pointe dans de meilleures conditions. Les énergies renouvelables, pour leur part, présentent toutes les qualités environnementales requises (gratuité des énergies solaire, hydraulique et éolienne, absence d'émissions de gaz à effet de serre) mais elles présentent les inconvénients inhérents à leur nature : intermittence, occupation de l'espace, conflit d'usage avec la production alimentaire pour l'eau et la terre. Elles ont aussi contre elles de produire des kilowattheures actuellement très onéreux : deux fois le coût du nucléaire pour l'éolien terrestre, six à huit fois pour le photovoltaïque.

Le coût de ces énergies propres sera amené à baisser grâce au progrès technologique, tandis que celui des générateurs thermiques devrait s'envoler si le coût des émissions de CO2 augmente ainsi que prévu par la Commission : entre 100 et 370 euros par tonne émise en 2050, alors que le prix spot tourne aujourd'hui autour de 15 euros sur le principal marché où s'échangent les quotas européens, Bluenext. Si la demande d'électricité était orientée à la baisse, en s'appuyant sur de gros investissements destinés à mieux stocker l'eau et la chaleur, et compléter la production intermittente des éoliennes et du solaire, les énergies renouvelables pourraient donc se tailler une place de choix. Mais la Commission prévoit une hausse de 50% de la consommation d'électricité en 2050 par rapport à 2005, qui tient compte de l'électrification des transports et du chauffage domestique. Car décarboner signifie d'abord réduire la dépendance au pétrole, au charbon, et au gaz, qui représentent 70% de la consommation totale d'énergie en Europe.

Dans ce contexte d'augmentation massive de la consommation électrique, l'ensemble des sources faiblement émettrices devra être mobilisé, en particulier le nucléaire dont la principale qualité est de produire de façon fiable à faible coût de l'électricité pouvant servir à la production de chaleur domestique, au rechargement des batteries et à la remontée des eaux des barrages.

Pour que l'opinion publique marquée par la catastrophe japonaise accepte ce maintien du nucléaire, un renforcement des règles de sûreté s'imposera. Mais le plus difficile dans l'opération de décarbonisation projetée sera probablement de faire changer les mentalités en matière de consommation d'énergie. Pour nous obliger à plus de vertu, une série de fortes hausses des prix serait efficace. Après tout, nous payons l'électricité 20% moins cher que la moyenne européenne et quasiment la moitié du prix que payent les Allemands. Mais l'expérience montre que les consommateurs renâclent et, comme ils sont aussi électeurs, les politiques ne veulent pas en entendre parler. Ils préfèrent augmenter les impôts ou le déficit du budget, ce qui n'incite en rien aux économies d'énergie.

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