Pour une fiscalité entrepreneuriale du patrimoine

Par Jean-René Boidron et Christian Nouel, présidents des commissions sociales et fiscales de CroissancePlus.
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Entrepreneurs : indignons-nous ! Le débat actuel sur la fiscalité du patrimoine est symptomatique du travers français qui tend à privilégier l'épargne patrimoniale au détriment de l'épargne entrepreneuriale. Les discussions autour de l'ISF auraient dû être l'occasion de reposer la question sur la pertinence de cet impôt dans un environnement mondialisé. Chaque pays est en concurrence pour retenir et attirer les talents qui prennent des risques, qu'ils soient entrepreneurs, fondateurs, repreneurs d'une société ou investisseurs dans de nouveaux projets créateurs d'emplois et de richesse. Le débat franco-français s'est cristallisé sur l'exonération ou l'augmentation de l'abattement forfaitaire de la résidence principale alors même que la fiscalité française sur le patrimoine immobilier est plus douce en France que dans les pays anglo-saxons.

La symbolique est forte entre l'attention qui a été portée sur la détention d'un bien par nature non délocalisable et l'absence de vrai débat sur l'essentiel : l'ISF est-il efficace au regard de la priorité affichée à stimuler l'économie et les flux économiques qui vont générer les points de croissance dont nous manquons cruellement ? A l'évidence, non. Et pourtant, l'ISF est devenu un boulet pour la France.

On le sait inefficace avec un rendement annuel (4,5 milliards d'euros) marginal au regard de son coût de collecte et surtout des sommes parties en dehors de France depuis sa création (200 milliards). On le sait anachronique dans un contexte de libre circulation des biens et des capitaux. On le sait contre-productif pour l'économie : l'entrepreneur qui a réussi reste un entrepreneur en puissance. Parce qu'il préfère les ennuis à l'ennui, il recréera une ou plusieurs entreprises ; il générera des flux fiscaux et sociaux par ses impôts et par la création d'emplois. Certes, il n'est pas écrit qu'un entrepreneur qui a réussi quitte la France mais c'est une éventualité avec laquelle il ne faut évidemment prendre aucun risque.

Enfin, on le sait injuste puisqu'il fiscalise indifféremment le patrimoine non productif et le patrimoine productif. Certes, des mécanismes d'exonération de l'outil de travail existent (sous réserve de conservation collective et individuelle de titres) mais ils deviennent tellement abscons qu'ils tendent à rendre l'impôt illisible. Les entrepreneurs de CroissancePlus militent donc pour une fiscalité du patrimoine moderne et adaptée à l'environnement économique mondialisé actuel qui se doit de privilégier l'approche dynamique au statu quo.

Parce qu'il faut lutter contre l'aversion au risque, il est juste d'augmenter la fiscalité des placements à faible risque et de continuer à inciter les acteurs économiques à orienter leurs liquidités vers les projets de croissance et d'innovation. Parce qu'il faut favoriser l'émergence de nouvelles entreprises, la politique fiscale devrait distinguer plus fortement la fiscalité des plus-values selon qu'elles sont réemployées de manière fertile ou transformées en épargne stérile : tant que les plus-values demeurent affectées à l'investissement productif dans de nouveaux projets entrepreneuriaux, un sursis d'imposition devrait s'imposer. De plus, toute somme investie par une personne physique dans une entreprise, que ce soit en capital ou en dette, doit être sans condition exonérée d'ISF.

Parce qu'il faut oser s'attaquer au vrai paradoxe français pourtant pétri d'égalité mais qui favorise systématiquement l'héritier à l'entrepreneur. Aujourd'hui, l'entrepreneur peut être imposé à l'ISF au titre de son outil de travail et supporter une plus-value conséquente à la sortie. S'il ne cède pas son entreprise, le principal obstacle au bon déroulement de sa succession restera d'ordre fiscal comme en témoignent les 60.000 entreprises qui continuent de cesser leur activité. A ce titre, il convient de permettre aux salariés et aux cadres dirigeants d'accéder au capital de leur entreprise, les droits de mutation dus par ces derniers devant être allégés sans qu'il soit nécessaire de respecter des conditions nuisibles à la croissance de l'entreprise.

Dans le même temps, le rentier, certes aussi imposé à l'ISF, se verra exonéré d'impôt sur les plus-values si la cession de son parc immobilier intervient plus de quinze ans après sa date d'acquisition. Surtout, il peut transmettre un patrimoine non productif conséquent de manière peu ou prou indolore pour autant qu'il saura recourir aux services de fiscalistes aguerris.

Alors que la transmission de patrimoine est objectivement la meilleure façon de rebattre les cartes et de corriger les inégalités sociales, notre système fiscal continue à favoriser l'argent qu'on hérite plutôt que l'argent qu'on mérite. A un moment où une large majorité de Français pense que les efforts face à la crise ne sont pas équitablement répartis, il semble difficile de faire l'économie de ce débat.

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