Banques : pour des ratios de solvabilité discriminants

Certains proposent de renforcer les exigences de fonds propres dans la banque de détail. C'est méconnaître les raisons profondes de la crise financière. Il faut au contraire pénaliser les activités
Copyright Reuters

Peut-on croire une minute que les accords de Bâle III, qui exigent des banques un ratio de solvabilité (Tier One) de 7% - 4,5% de fonds propres en actions et 2,5% de coussin de sécurité -, nous mettent à l'abri d'une nouvelle crise financière ?

Faut-il, alternativement, comme l'a proposé Paul Volker, revenir au Glass-Steagall Act, ou ses équivalents étrangers, c'est-à-dire à la séparation institutionnelle des banques commerciales et des banques de marché ? Faut-il, enfin, sans revenir à cette séparation statutaire, et comme le proposait Howard Davies dans La Tribune du 27 avril, loger les activités de banque commerciale dans des filiales spécialisées, auxquelles il propose d'appliquer un ratio de fonds propres supérieur, par exemple 10% au lieu des 7% proposés par les régulateurs internationaux ? Cette dernière proposition paraît pour le moins paradoxale, compte tenu des origines de la crise financière dont nous sommes peut-être sortis, sans l'être encore, de la crise économique.

Ce ne sont pas, en effet, les activités traditionnelles des banques commerciales, la collecte des dépôts et de l'épargne, et l'octroi de crédit, qui sont à l'origine de la crise. C'est le dévoiement de cette activité classique de banque, par la possibilité de titriser à l'infini, de marchéiser les créances, notamment immobilières, aussi bien aux Etats-Unis qu'en Grande-Bretagne, avec la Northern Rock. C'est la connexion entre banque classique et marchés qui a provoqué la crise. Si les émetteurs initiaux des prêts n'avaient pas trouvé la titrisation pour se refinancer, ils ne les auraient pas accordés, et l'effondrement de la valeur des titres et des immeubles ne se serait pas produit.

Ce ne sont pas les activités bancaires classiques qu'il faut pénaliser en fonds propres. Et il n'est pas nécessaire de revenir au carcan du Glass-Steagall Act et de ses variantes européennes. Il suffit de pénaliser, dans les bilans des banques, les activités de marché par rapport aux activités classiques. Dans la période actuelle, où les besoins de financement s'élèvent au rythme de la reprise économique, fixer des ratios de solvabilité de 15% sur les activités de marché et de 5% sur les activités de banque n'aurait rien d'absurde.

Prenons le cas d'une grande banque française qui s'est sortie, en 2008, d'une grosse difficulté attribuée à un trader indélicat. Elle affiche, dans son document de référence au sein de son rapport annuel (chapitre X, note 34), 28,3 milliards d'euros de produits d'intérêt et 16,3 milliards de charges, soit 12 milliards d'intérêts nets, puis (note 35), des produits nets de commissions de 7,4 milliards, soit un produit net bancaire de banque classique de 20 milliards.

La note 36 indique ensuite des gains nets sur instruments financiers de 5 milliards d'euros. On peut d'ailleurs expliquer, en gros, comment se forme quotidiennement ce gain total sur marchés. Au chapitre X, en effet, est donné un histogramme des revenus quotidiens des activités de marché. Cette banque gagne sur ces activités 0 à 10 millions d'euros durant cinquante jours par an, 10 à 20 millions d'euros durant soixante-dix jours et 20 à 30 millions durant soixante jours. On peut donc estimer que le gain moyen est de 20 millions par jour, soit sur une année de deux cent quarante jours bancaires, à peu près les 5 milliards d'euros précités. Cette somme est évidemment bien plus faible que le gain sur la banque classique ; elle en représente le quart ; mais il s'en différencie sur deux points.

D'abord, le coût en personnel et matériel est beaucoup plus faible à l'euro gagné, dans l'activité de marché que dans l'activité bancaire classique. La masse salariale des centaines de traders, bonus compris, est évidemment bien plus faible que celle des dizaines de milliers d'employés de banques traditionnels. Ce sont pourtant eux qui ont constitué, année après année, l'assise humaine et financière des grandes banques, permettant à celles-ci d'intervenir ensuite massivement sur les marchés. Mais, aujourd'hui, le rendement financier immédiat de cette dernière activité laisse celui de la banque classique loin derrière lui. Financer l'économie, notamment les PME, qui était et reste le rôle économique fondamental et légitimant des banques, devient, même s'ils s'en défendent, et quels que soient les encours de crédit qu'ils exposent, une charge plus qu'une activité économique, dans l'esprit des dirigeants.

C'est pourquoi le lobby bancaire, City en tête, résiste de toute sa force, et avec succès jusqu'à présent, à une différenciation des ratios de solvabilité, en faveur des activités classiques de banque. Malheureusement, l'activité de marché présente une seconde caractéristique inévitablement liée à son rendement, c'est le risque. Un risque que les statisticiens pensaient probabilisable, exprimable en termes de moyenne et variance stables, mais qui, ces dernières années, relevait plutôt de l'incertitude.

La résistance des banques à des règles prudentielles discriminantes pour les activités de marché signifie, au moins implicitement, qu'elles considèrent les catastrophes financières comme inévitables et que les contribuables doivent s'attendre à acquitter une ou deux fois dans leur vie, voire plus, une sorte de tribut pour couvrir les risques que les banques doivent prendre afin de maintenir plus aisément le niveau de dividendes de leurs actionnaires.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.