Le dilemme de l'Etat régulateur et débiteur

Ce mardi à Bruxelles, les ministres des Finances des Vingt-Sept vont arrêter leur position sur les ventes à découvert et des "credit default swaps" (CDS). Les nouvelles règles envisagées portent la marque des intérêts divergents de l'Etat débiteur et de l'Etat régulateur.
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C'est bien connu : les conflits d'intérêts au sein des gouvernements renforcent les lobbies. Voyez le tabac. Entre l'Etat percepteur, d'un côté, qui récupère la plus grosse part du produit des ventes de cigarettes, et l'Etat protecteur, de l'autre, qui se fait fort d'endiguer l'explosion des cancers liés au tabac, il y a comme une tension. Une tension qui a par exemple des conséquences très pratiques. C'est ainsi que la politique publique sur le prix des cigarettes ne vise pas tant à casser la consommation qu'à limiter l'impact des hausses de prix sur le flux de recettes des taxes.

Quoique moins nocives pour la santé, les ventes à découvert de produits financiers, en particulier sur les dettes souveraines, fournissent une nouvelle illustration de ce dilemme de l'Etat tout à la fois acteur et régulateur. Ce mardi à Bruxelles, les ministres des Finances des Vingt-Sept vont arrêter leur position sur la réglementation des ventes à découvert et des "credit default swaps" (CDS). L'effet corrosif des intérêts de l'Etat débiteur sur ceux de l'Etat régulateur ne va pas manquer de se faire sentir.

Que proposeront les ministres ? Essentiellement, plus de transparence : les opérateurs devront, au-delà d'un certain montant à préciser, communiquer leurs positions courtes nettes. En revanche, ils pourront toujours acheter des assurances sur un risque de défaut grec ou portugais sans pour autant détenir les obligations contre la perte de valeur desquelles ils s'assurent. Ils pourront toujours vendre à terme à un prix donné des titres qu'ils ne détiennent pas, autrement dit parier sur leur baisse et sur une hausse des taux d'intérêt. Tout juste devront-ils prétexter la possibilité d'emprunter le moment venu le titre sous-jacent... Ces mesures auront, de l'avis des participants au marché, un impact limité sur son fonctionnement.

On est très loin des vigoureux appels à la régulation lancés il y a un an par des Etats préoccupés avant tout de leur rôle de régulateur, qui se rêvaient en justicier de la finance. La lettre commune de Nicolas Sarkozy, Angela Merkel, Jean-Claude Juncker et Georges Papandréou à José Manuel Barroso et au président d'alors du Conseil, José Luis Zapatero, parlait de "mesures appropriées pour imposer une période minimale de détention des CDS, (de) l'interdiction des transactions spéculatives sur les CDS et (de) l'interdiction d'achat de CDS qui ne sont pas utilisés à des fins de couverture". Deux autres lettres, franco-allemandes, de juin 2010 à la présidence du G20 et aux autorités bruxelloises ne laisseront aucun doute sur la détermination des dirigeants politiques à agir structurellement sur ces pratiques.

Que s'est-il donc passé entre mars 2010 et juin 2011 ? La science économique aurait-elle fait un saut quantique tel qu'il faille reconsidérer les risques de volatilité, de manipulation ou de déstabilisation du marché liés à ces instruments et aux stratégies qu'ils permettent ? Rien ne l'indique. Les négociations en arrière-plan du règlement sur les ventes à découvert sur lequel le Conseil Ecofin se prononce mardi s'avèrent plus utiles pour comprendre ce glissement vers une régulation douce.

Qui a milité pour réduire au minimum les restrictions aux ventes à découvert et aux achats de CDS à nu ? Outre Londres, principalement l'Italie, au motif que ces restrictions limiteraient la liquidité du marché et l'empêcheraient de placer les monceaux d'obligations qu'elle doit émettre dans les mois à venir. Rome a donc endossé sans réserve l'argumentaire des investisseurs.

Est-ce justifié ? Le parlement européen, qui aura son mot à dire sur ce compromis, pourrait le contester. D'abord, le projet de règlement de la Commission tenait déjà compte des contraintes de liquidité et avait aménagé une exemption aux restrictions pour les "prime brokers" et les spécialistes en valeurs du Trésor qui placent la dette sur le marché primaire. Ensuite, on ne voit pas très bien en quoi les acheteurs de CDS à nu contribuent à la liquidité du marché de la dette, puisque, par hypothèse, ils ne détiennent pas les titres publics sur la dépréciation desquels ils parient.

Rome a été la plus active à atténuer les ardeurs régulatrices européennes. Mais c'est toute l'Europe surendettée qui se trouve saisie par le dilemme du débiteur régulateur, à la fois garant de l'intégrité et de la stabilité financière, d'un côté, et trésorier de collectivités publiques qui luttent pour garder la confiance des marchés. Comme par hasard, seule Berlin, celle qui a les coudées les plus franches sur les marchés, milite ouvertement contre ce compromis trop timide. Que ce soient les grands argentiers des Vingt-Sept, réunis en Conseil Ecofin, qui s'opposent à ce qu'avaient demandé il y a un an les chefs d'Etat et de gouvernement en dit long sur les contradictions qui traversent les Etats.

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