Quelle "voie" pour transformer le monde ?

Le Forum d'action modernités organise lundi un débat autour d'Edgar Morin pour contribuer à ouvrir "La Voie", titre de son dernier essai. Nous devons régénérer la pensée politique en ayant conscience de l'interdépendance car ni les enjeux de l'écologie, ni ceux de la civilisation, ni ceux de l'économie ne peuvent plus être pensés hors de leur contexte mondial.
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Face à des périls hors norme, nous sommes désormais orphelins et du tout-Etat et du tout-marché. Les partis de gouvernement font mine de ne pas voir cette cassure et voudraient espérer qu'une légère inflexion du curseur entre le public et le privé suffise à restaurer la confiance. Rares sont pourtant les citoyens qui, en leur for intérieur, peuvent encore y croire. Sommes-nous condamnés à l'impuissance ? Allons-nous droit à la catastrophe ? Ou pouvons-nous suivre Edgar Morin qui écrit dans son dernier essai, "La Voie" : "Quand un système est incapable de traiter ses problèmes vitaux, il se dégrade, se désintègre ou bien se révèle capable de susciter un métasystème à même de traiter ses problèmes : il se métamorphose." ? Pour l'avenir de l'humanité, comment pouvons-nous oeuvrer pour la métamorphose ?

Collectivement, nous ne savons ni vers où nous diriger ni comment y aller. Ce sentiment d'impuissance ne doit pas masquer un bouillonnement d'initiatives qui n'émanent précisément ni de la pure logique de marché ni de la pure logique d'État. Pour voir tout ce qui bouge, il faut plutôt regarder les associations, les ONG, les acteurs du "social business", certaines entreprises, des collectifs d'artistes, des groupements de professionnels. Mais à l'heure actuelle, chacun tire sa force de son authenticité et ancre celle-ci sur l'attention exclusive portée à un enjeu partiel. Les initiatives restent locales, fragmentées, sans cohérence globale.

Comment faudrait-il faire pour que chacune de ces initiatives contribue à venir en renforcer d'autres et que chacune bénéficie en retour de l'intelligence et de l'énergie qui s'investissent ailleurs ? Peut-on le faire sans proposer un pacte d'un autre temps où les engagements locaux accepteraient de se subordonner à une logique globale ? Peut-il y avoir dans l'action politique l'équivalent des logiques de cocréation, d'intelligence collective et de réseaux d'énergie humaine renouvelable ?

Il serait d'abord nécessaire que nous sachions modifier nos manières de penser. L'heure n'est plus à l'universalisme abstrait et à l'occidentalo-centrisme. Il faut concevoir la diversité comme une richesse et non comme un obstacle. Les logiques d'exclusion doivent céder le pas aux raisonnements inclusifs. Il faut penser en même temps la croissance et la décroissance, le développement et l'enveloppement. Le "et" doit remplacer le "ou". Edgar Morin a consacré les six volumes de son oeuvre maîtresse, "La Méthode", à concevoir cette pensée complexe.

Avec "La Voie", il nous engage dans une exploration de même ampleur et qu'il qualifie lui-même de quasiment impossible. Il ne s'agit rien de moins que de "chercher la voie susceptible de sauver l'humanité des désastres qui la menacent". Aussi faut-il lire ce dernier livre comme une introduction à un vaste travail de recensement, de conceptualisation, de systématisation de tout le bouillonnement d'initiatives qui parcourt aujourd'hui le monde et qu'il s'agit d'organiser en un chemin.

Comme le dit un proverbe zen : "La grande ?voie? n'a pas de porte. Des milliers de routes y débouchent." Le Forum d'action modernités veut contribuer à ouvrir cette "voie". Il s'agit d'abord d'adopter un point de vue planétaire. C'est à l'échelle de la Terre-patrie que nous devons régénérer la pensée politique. Toutes les cultures, tous les continents ont quelque chose à apporter. Il s'agit de prendre conscience de l'interdépendance car ni les enjeux de l'écologie, ni ceux de la civilisation, ni ceux de l'eau, ni ceux de l'économie, ni ceux de la justice, ni ceux de la santé... ne peuvent être pensés en dehors de leur contexte mondial.

Se situant au niveau du globe, il s'agit en même temps de mettre en jeu nos vies. Nous savons qu'il serait illusoire d'espérer changer le monde si nous ne savons pas nous changer nous-mêmes. Nous devons avoir le courage de changer nos comportements pour poursuivre d'autres finalités.

Pour faire face aux grands enjeux du monde, il faut enfin miser sur des alliances entre acteurs hétérogènes : entreprises, ONG, intellectuels, artistes... Si l'on est rigoureux sur les "process", on peut démultiplier la force de levier des uns et des autres. Si nous voulons nous engager dans une métamorphose, il faut dépasser les identités figées et s'engager dans des transformations mutuelles. Il n'y a pas d'un côté une interrogation sur les buts et de l'autre une réflexion sur les modes opératoires. La voie, c'est à la fois le but et le chemin. L'horizon qui se dégage aujourd'hui, c'est le projet de se transformer les uns les autres.

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