Optimiser la répartition de l'emploi à l'échelon européen

À l'occasion de la réunion du G8, à Deauville les 26 et 27 mai, « La Tribune » publie cette semaine une série de cinq articles sur les politiques à mener, afin de favoriser la sortie de crise. Quatrième point de vue, celui de Philippe Askenazy, qui prône l'organisation d'une mobilité des salariés en Europe.
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Jusqu'en 2008, l'agenda des politiques de l'emploi en Europe était clair. Il était dicté par une doctrine construite au début des années 1990 au sein d'institutions comme l'OCDE, la Commission européenne ou le FMI. Elle reposait sur des visions du marché du travail où le chômage résulte des difficultés d'appariement entre travailleurs et employeurs, des désincitations et des prélèvements sur le travail. La correction des "rigidités" du marché du travail et l'abaissement de son coût s'imposaient. La piste essentielle était l'activation des dépenses pour l'emploi et les chômeurs, suivie par la plupart des pays européens, y compris la France : soutien au revenu devant inciter à la recherche d'emploi (impôt négatif, revenus complémentaires d'activité, prestations chômage réduites), mesures de baisse du coût du travail, restructuration des services publics de l'emploi (job centers), incitation voire obligation d'accepter un programme de formation ou d'emploi aidé. Dans la dernière décennie, des réformes plus larges ont été engagées : sous le nom de "flexisécurité", elles conjuguent une plus grande flexibilité du contrat de travail et l'accompagnement des parcours professionnels par la formation et l'aide à la mobilité. Le volet flexibilité a été bien souvent privilégié, notamment en Allemagne avec les lois Hartz.

L'ensemble de ces réformes ont abouti à des résultats mitigés. L'activation n'a pas fait de miracle. Par exemple, les services de l'emploi ne gagnent en efficacité que s'ils disposent d'importants moyens. Les évaluations des ambitieuses lois Hartz peinent à trouver des effets directs sur l'emploi des moins qualifiés outre-Rhin, alors qu'elles ont participé à une montée spectaculaire de la pauvreté au travail.

 

La crise a probablement enterré la flexisécurité. Les pays coeur de ce modèle censé garantir un marché équilibré ont connu comme ailleurs une forte montée du chômage. Le renforcement ou l'avènement de majorités de droite, alliées ou implicitement soutenues par des partis d'extrême droite, accélère un retrait du volet sécurité. Par exemple, les durées d'indemnisation des chômeurs danois devraient être réduites de moitié.

 

Reste donc, pour l'instant, l'activation/flexibilisation. L'argument d'efficacité est abandonné pour celui d'une convergence européenne et de compétitivité globale. Argument étrange, puisque des facteurs essentiels du côté de l'offre de travail - politiques éducatives et familiales - ne sont pas appelés à converger. Surtout, il ignore les grands enjeux d'aujourd'hui. Le premier touche aux legs de la crise. Dans la plupart des pays européens, il faut résorber un stock de chômeurs "de file d'attente" et, dans le même temps, organiser un hiver des budgets publics qui ont socialisé les dettes privées bancaires. Les réformes d'activation/flexibilisation en Espagne pour satisfaire les marchés financiers n'offriront pas une solution aux jeunes "indignados" espagnols, dont le taux de chômage approche les 50 % ; pire, elles risquent d'enfermer la jeunesse d'une grande partie de l'Europe dans le "milleurisme", c'est-à-dire l'incapacité malgré un diplôme d'obtenir un premier emploi rémunéré au-delà de 1.000 euros mensuels.

 

Une solution peut être en revanche construite à partir du second grand enjeu : les déséquilibres démographiques européens. Hasard historique, la crise a coïncidé avec le début de la contraction de la main-d'oeuvre disponible, singulièrement en Allemagne. Avec 200.000 travailleurs de moins chaque année et un bon positionnement industriel, ce pays aura des besoins considérables. Nombreuses sont les régions européennes concernées par des pénuries structurelles de main-d'oeuvre. Or les (jeunes) Européens ne sont pas hostiles à la mobilité au-delà de leurs frontières. Le séjour d'Obama en Irlande n'est pas qu'électoraliste : l'Irlande est redevenue une terre d'émigration, et il rappelle que les États-Unis sont, eux, une terre d'accueil. Les jeunes Grecs ne rêvent pas d'Allemagne mais d'Amérique.

Une politique de l'emploi efficace doit s'employer à optimiser la répartition du travail à l'échelon européen, à travers l'organisation d'une mobilité européenne coordonnée entre les États. Les obstacles sont bien plus culturels qu'économiques : la déclaration d'Angela Merkel dénonçant les "Européens du Sud peu travailleurs" en est la caricature. Par sa position de pont entre l'Europe du Nord et celle du Sud, la France a un rôle essentiel pour construire une véritable politique européenne de l'emploi.

 

* Auteur des "Décennies aveugles", éditions du Seuil, 2011.

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