Ne pas rater la conception du marché de capacité électrique

Par François Lévêque, professeur à Mines ParisTech.
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Le marché électrique n'assure pas une rémunération suffisante pour rentabiliser la construction de centrales qui ne produiraient que quelques heures dans l'année. Or, les jours de grand froid, les consommateurs tôt le matin ou tard dans l'après-midi ont des besoins "de pointe" à satisfaire. Afin de limiter les risques de coupure d'électricité, il faut donc compléter le marché de gros de l'énergie, où s'échangent des kilowattheures, par un marché de la capacité où se traiteront des kilowatts. Comment organiser ce marché dont la mise en place est prévue en France par la loi Nome sur l'électricité ?

Son principe est proche de celui du marché du carbone. La puissance publique fixe un plafond global de CO2 et crée des droits d'émission sous forme de certificats dont la somme est égale au plafond que les bénéficiaires peuvent ensuite échanger sur un marché. Pour le marché de capacité électrique, il en va de même. Pour remplir leurs obligations, certains fournisseurs préféreront acheter des certificats car cela leur reviendra moins cher que d'investir en propre dans une centrale électrique. Ou encore moins cher que de mettre en place eux- mêmes des solutions d'effacement de la demande. En effet, le marché de capacité traitera aussi bien la capacité offerte par le maintien d'un site de production qu'on envisageait de fermer ou par l'investissement dans une nouvelle centrale que celle offerte par le retrait volontaire et sur demande d'une consommation. C'est le marché lui-même qui révélera le bon équilibre en fonction des performances/coûts de l'ensemble des options techniques.

Il y a tout de même une complication majeure dans le cas d'un marché de capacité électrique : le respect des engagements de chacun doit être absolu. En effet, si une entreprise ne respecte pas son obligation, c'est la sécurité de tous qui sera mise en danger le jour où on aura justement besoin de faire appel à sa capacité. Sur ce sujet, plusieurs conceptions de l'organisation du marché s'affrontent, en particulier entre tenants d'un dispositif minimaliste, faisant peser sur chaque fournisseur la responsabilité individuelle de se procurer les capacités couvrant la demande de leurs clients, et ceux préférant une solution plus robuste, attribuant au gestionnaire du système électrique la responsabilité d'assurer le bouclage du dispositif. L'analyse économique ainsi que les expériences menées dans d'autres pays donnent raison aux seconds. Voyons brièvement pourquoi.

En général, le respect des obligations est assuré par un système de pénalité financière. Par exemple, l'entreprise qui a émis plus de CO2 que son quota paiera une amende qui dissuadera le fautif de recommencer. Cependant, à court terme, elle ne retirera pas de l'atmosphère les tonnes de carbone émises sans autorisation. Dans le cas du CO2, l'effet n'est évidemment pas visible car les tonnes supplémentaires émises ne bouleversent pas immédiatement l'ampleur du dérèglement climatique !

Cette absence de conversion instantanée de la sanction pécuniaire en réparation physique est en revanche très préjudiciable dans le cas de l'électricité, car celle-ci ne se stocke pas. Il faudrait imaginer un système de sanction parfait pour éviter toute défaillance dans les obligations de capacité. Mais, indépendamment du niveau très élevé de la sanction qu'il conviendrait alors de fixer, on restera démuni face à un fournisseur qui ferait par exemple faillite sans avoir respecté son obligation de capacité. Le système électrique tout entier serait alors menacé. Il en sera de même si les fournisseurs se trompent dans leur prévision de part de marché et n'anticipent pas correctement les besoins de capacité.

Afin d'éviter de tels risques, il vaut mieux prévoir une autre parade. Celle trouvée par les pionniers dans la création de marchés de capacité électrique, en particulier certains États américains, consiste à organiser une enchère. Elle permet au gestionnaire du système électrique de s'apercevoir à temps (généralement trois ou quatre ans à l'avance) des déséquilibres prévisibles entre l'offre et la demande. Il comble alors l'écart observé en achetant lui-même les capacités nécessaires et les revendra à ceux qui, pour des raisons stratégiques ou par erreur de prévision et de calcul, en manqueront. On parle de bouclage du marché de capacité. Cet élément est indispensable au bon fonctionnement d'un marché de capacité et à la sécurité du réseau électrique en France.

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Commentaire 1
à écrit le 21/10/2011 à 16:23
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A l'inverse de cette tribune, celle de Dominique Finon du CNRS explique dans Les Echos en quoi la solution "d'obligation" est plus avantageuse pour les consommateurs que la solution "d'enchère". Sujet complexe...

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