Hollande : le Manuel de sa boîte à outils

Par Philippe Mabille  |   |  920  mots
Pourquoi et comment Hollande et Valls finiront bien par faire adopter le plan de rigueur par les députés socialistes... A moins d'un coup de pompe !

François Hollande a donc trouvé chaussure à son pied. Enfin, pas à l'Élysée d'où il a viré sans ménagement Aquilino Morelle, son conseiller politique adepte du cirage de pompes, et - modeste contribution au plan d'économies budgétaire - supprimé le poste, au motif manifeste au vu de sa popularité, que celui-ci ne sert pas à grand-chose. Gaspard Gantzer, un jeune énarque un peu fêtard issu de la même promotion que le secrétaire général adjoint Emmanuel Macron (Leopold Sédar Senghor), fera désormais le job de DirCom de l'Elysée. Souhaitons lui bon courage !

Mais, à Matignon où, avec Valls aux manettes, la greffe a pris. Après deux ans d'atermoiements et d'erreurs de communication, le président de la République donne enfin à sa « boîte à outils » le Manuel qui lui faisait jusqu'ici cruellement défaut. Force est de le reconnaître : le nouveau Premier ministre a pris la situation en main. Malgré les contraintes financières et une majorité turbulente, il est en train de trouver une sortie politique à l'impasse dans laquelle se trouvait le gouvernement Ayrault.

Certes, il y a là une certaine injustice, Manuel Valls n'est pas l'auteur du plan d'économie qui va porter son nom. L'essentiel des mesures avait été arbitré avant le remaniement, tout comme le subtil dosage proposé : 18 milliards d'économies pour l'État, 10 pour l'assurance-maladie, 11 pour la protection sociale et 11 pour les collectivités locales. Mais, comme dans la mayonnaise, l'essentiel n'est pas dans les ingrédients, mais dans le tour de main. Et de ce point de vue-là, Manuel Valls mérite sa place en finale du Top Chef de la rigueur.

Acte 1 : j'énonce de façon martiale un plan d'économie de 50 milliards d'euros, avec quelques mesures spectaculaires qui ne vont pas manquer de provoquer un raidissement de la majorité, à savoir le gel de certaines prestations sociales, y compris les retraites.

Acte 2 : ladite majorité propose  de son propre chef une «"alternative"» pendant le long week-end pascal, mais sans remettre en cause le principe des 50 milliards d'économies, désormais gravés dans le marbre.

Acte 3 : Manuel Valls reçoit la majorité, accepte quelques « aménagements » pour les petites retraites et, emballez, c'est pesé, les députés PS, satisfaits de ne plus être traités comme des « godillots » (encore une histoire de pompes !), vont rentrer dans le rang et adopter mardi prochain le nouveau programme de stabilité proposé par la France à Bruxelles.

De là à dire que la gauche s'est fait avoir… Certes, il y aura un peu de cinéma : une réunion "extraordinaire" du bureau national du PS organisée d'urgence par le nouveau Secrétaire général du parti, Jean-Christophe Cambadélis, va faire le ménage pour convaincre les 30 à 40 récalcitrants qu'un rejet équivaudrait à une crise politique et menacerait toute la majorité d'une dissolution. Au vu des derniers sondages sur les Européennes, comme de la claque des Municipales, inutile de préciser que ce n'est pas vraiment le bon moment... De toute façon, et ce n'est pas forcément un cadeau pour François Hollande, certains députés de droite ont d'ores et déjà dit qu'ils étaient prêt à voter le plan. L'ouverture, version Manuel Valls... Le commissaire européen Michel Barnier, sans doute dans l'espoir d'être reconduit, appelle lui carrément l'opposition toute entière à soutenir le plan Valls.

Le PS devrait pourtant créditer le nouveau Premier ministre d'une ultime habileté, peu remarquée, puisque la France s'offre quelques marges de manoeuvre, en ralentissant (un peu) le rythme de la réduction des déficits, qui passeront de 4,3% du PIB en 2013 à 3,8% en 2014, puis 3% tout rond en 2015 : c'est 0,2 point de PIB de plus que prévu initialement, soit environ 4 milliards d'euros par an de grain à moudre pour financer le « pacte de solidarité », c'est-à-dire les mesures destinées à redonner (un peu) de pouvoir d'achat aux bas revenus (via une baisse d'impôt cette année et un allégement des cotisations salariales l'an prochain). Même modeste, cette atténuation de l'austérité à la française est une contribution de l'Europe à la relance de l'activité en France.

Tout cela fleure bon l'habileté politique. Trop peut-être, car quand le sage montre la lune, l'imbécile regarde le doigt.

Au final, Manuel Valls et François Hollande n'ont pas cédé grand-chose : le gel du point d'indice des fonctionnaires est confirmé jusqu'en 2017 (même s'il y aura pour la forme une "clause de revoyure" chaque année) ; le rythme des dépenses de santé va être ralenti fortement, à 2% l'an ; et les collectivités locales seront au pain sec et à l'au avec pour seule perspective d'augmenter les impôts locaux, ou bien d'accepter de vraies réformes de structures.

Pour réussir son pari principal, celui d'inverser la courbe du chômage, sans quoi il a reconnu qu'il ne pourra pas se représenter en 2017 (quelle tautologie !), François Hollande compte sur le succès de sa "boîte à outils". Alors que la croissance redémarrerait (1% en 2014, 1,7% en 2015, puis 2,25% en 2016 et 2017), le Pacte de responsabilité, c'est-à-dire les 30 milliards d'euros du CICE et les allégements supplémentaires de charges, pourrait, selon le gouvernement, créer ensemble un demi-million d'emplois dans le secteur privé d'ici trois ans .

Si cette prédiction se réalise, le quinquennat sera réussi. Sinon, le président, sa boîte à outils et le Manuel qui va avec risquent d'être virés à leur tour. À coup de pompes… ?