Les jeunes Africains entre désenchantement et chimères

À Rabat comme à Casablanca, aux intersections des grandes avenues, de jeunes hommes et femmes - souvent avec des bébés dans les bras - profitent de l'heure de pointe pour quémander un sou aux automobilistes. Les généreux parmi ceux-ci leur donnent une pièce, alors que les autres restent cloués à leur volant, ne sachant que faire de ces nouveaux venus dans l'espace urbain marocain… Député marocain, ancien ministre, Lahcen Haddad nous propose ici de partager ses réflexions sur cette réalité nouvelle au Maroc.
À Rabat, à la mi-décembre, des migrants africains en situation irrégulière attendant de se faire enregistrer pour bénéficier de la campagne de régularisation ouverte par les autorités marocaines.

Ces jeunes « mendiants » auraient pu se trouver sur les côtes libyennes à bord de pateras qui les acheminent vers l'île de Lampedusa au sud de l'Italie, ou vers leur mort certaine, noyés au large de la Méditerranée. Heureusement pour les uns, malheureusement pour les autres, ils se sont trouvés au Maroc, mendiant dans les villes ou vivant cachés dans les forêts du Rif, rêvant de la traversée vers l'Europe.

Une jeunesse désenchantée

La ruée vers l'Eldorado européen est devenue le seul recours de ces jeunes venant de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique centrale. Leurs familles auraient vendu leur terre, leur bétail et ce qu'ils possédaient pour financer le voyage coûteux vers l'Europe. Bravant forêts tropicales, savanes, désert saharien et voyageant dans des conditions affreuses sans nourriture, ni médicament, affrontant les risques de viol, violence, et racisme dans les pays de transit, ces jeunes parfois deviennent les proies faciles des mafias de la drogue ou des groupes terroristes agissant dans le golfe de Guinée et au Sahel.

Le mirage européen est le rêve de tout une jeunesse, désenchantée par l'échec du système scolaire, l'absence d'opportunités de travail stable, la destruction des moyens de subsistance due à la sécheresse, aux inondations et à la désertification - les changements climatiques étant une réalité dure et amère en Afrique -, et bien sûr aux guerres civiles et à l'instabilité politique.

La nécessité d'une implication forte des pays riches

Certes il y a des pays africains qui investissent dans les secteurs des services, des TIC et du tourisme, ainsi que dans d'autres domaines fort créateurs d'emplois. Des pays comme la Côte d'Ivoire, le Sénégal, la Zambie, le Kenya et le Nigeria sont en train de réussir la transition vers une économie à plus haute valeur ajoutée, moins dépendante de l'export des matières premières et créatrice d'emplois. Par ailleurs, des pays pourvoyeurs de fonds - comme le Maroc, l'Afrique du Sud, la France et la Chine - financent des projets d'investissement dans les domaines de l'eau, de l'énergie, des transports et des BTP, susceptibles de créer de la valeur et de l'emploi.

Mais l'Afrique a besoin de plus d'engagement réel de la part des grands comme les États Unis, le Japon, l'Allemagne, le Royaume Uni, le Canada, les pays scandinaves, la Russie et les pays du Golfe. Sans l'implication forte des pays riches et développés, les efforts louables des autres pays déjà sur le terrain comme le Maroc, la Chine et la France ne seront pas suffisants pour venir à bout des problèmes du chômage, de la pauvreté, du désenchantement de la jeunesse et de la désillusion des populations.

Murs et États forteresses ne résolvent rien...

L'approche du Roi du Maroc, Mohammed VI, est un exemple à suivre. Depuis quelques années, il a pris le leadership dans la mise en place de quelque 200 projets de développement en Afrique, dont la valeur avoisine les 10 milliards de dollars. Les entreprises publiques et le secteur privé travaillent main dans la main pour faire aboutir ces projets et contribuer au développement de l'Afrique.

Aux États-Unis, le président élu, Donald Trump, doit comprendre que la meilleure façon de combattre l'immigration illégale est d'investir dans l'amélioration des moyens de subsistance, le développement de la toute petite et moyenne entreprise, l'emploi et l'employabilité des jeunes dans les pays pourvoyeurs d'immigration.

Les murs, les barbelés, les États forteresses, le durcissement des mesures d'octroi de visa créent un sentiment de sécurité dans les pays d'accueil mais ne résolvent pas le problème. L'Europe est passée par là, mais sans grand succès. La notion de l'Europe forteresse* n'a pas empêché les jeunes Africains de risquer leur vie dans la Méditerranée ou de mener une vie de clandestinité dans les villes marocaines, algériennes ou tunisiennes.

L'Afrique ne peut décoller et profiter de son grand potentiel qu'en s'appuyant sur sa jeunesse. En investissant dans l'emploi et l'employabilité des jeunes, en améliorant le système de gouvernance, en stabilisant la situation politique et sociale, en atténuant l'impact des changements climatiques, l'Afrique, à l'aide de leaders africains comme le Maroc et l'Afrique du Sud, et à l'aide des acteurs mondiaux comme les États-Unis, l'Union Européenne, le Japon, la Chine et autres, peut réaliser son rêve, le rêve d'une Afrique libre, forte, prospère et juste, une Afrique pour tous, jeunes et moins jeunes.

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*Voir mon article « Beyond the Idea of "Fortress Europe" or the Challenges of Good Neighbourhood and Integration Policies »

https://www.mirovni-institut.si/data/tinymce/Projekti/EE-vključevanje/lahcenhaddad.pdf

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Commentaires 3
à écrit le 27/12/2016 à 12:54
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Le problème dans ces pays c'est leur mentalité, façonné par leur religion, histoire et culture !!! Déjà un meilleur contrôle des naissances serai le minimum pour éviter l'explosion démographique qui appauvrie et amène tout ces pays à la violence et l...

à écrit le 27/12/2016 à 12:24
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Très bon article et analyse. Mais il faut toutefois que les dirigeants, religieux et autres se préoccupent pleinement du problème de natalité qui coule chaque fois le développement de beaucoup de pays africains comme le Mali et beaucoup d'autres au l...

à écrit le 27/12/2016 à 11:54
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La régularisation, d'immigrés "clandestins", notamment féminins, au Maroc, et qui la demandent fait plutôt penser à des processus classiques d'emplois "non déclarés" et très peu payés. Donc les faits, à l'appui de la thèse de l'auteur, sont certaine...

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