Panama papers : on n'en a pas fini avec la fraude fiscale

Il faut saluer cette initiative des Panama papers. Elle contribue à la lutte contre le fléau de l'évasion fiscale. Mais tant que les structures du capitalisme financier mondialisé ne seront pas remises en cause, les progrès resteront incertains

Un coup de chapeau au lanceur d'alerte, au Consortium International des Journalistes, aux 108 rédactions et aux 366 journalistes. Il fallait du courage, de la détermination et du savoir-faire pour extraire d'un fouillis de 14 millions de documents, les Panama Papers, des publications comestibles par un grand nombre de lecteurs. Peut-être une novelle espèce de journalistes est-elle apparue, qui donne la préférence à l'investigation longue sur l'information instantanée, qui sache utiliser des logiciels complexes et des moteurs de recherche calculer sophistiqués et travaille en équipe plutôt qu'en free lance. Mais le plus étonnant est que plusieurs centaines de journalistes, dispersés dans plus de quarante pays, aient gardé le secret pendant onze mois sans aucune fuite.

 Des premiers effets positifs...

Les premiers effets sont positifs et ce n'est que le début. De l'argent va rentrer dans des caisses publiques souvent démunies, si les services fiscaux prennent la relève. Des dirigeants politiques vont devoir rendre des comptes à leurs électeurs, voire céder la place. Des banques et autres opérateurs financiers devront reconnaitre leurs mensonges et prendre des engagements soumis à vérification. Les autorités de régulation vont étendre leurs contrôles. Des tribunaux séviront. Une partie des riches et des moins riches hésiteront à l'avenir avant de contourner la loi.

 ...et d'autres plus problématiques

D'autres effets sont problématiques. D'abord, les informations fournies sont plus abondantes que rigoureuses et suscitent une confusion dans l'esprit de beaucoup. Les titulaires de comptes off- shore appartiennent à des catégories très différentes, ce que le sensationnalisme ou la complexité des articles rend difficilement perceptible. Certains n'ont pas commis de délit fiscal ou pénal. Il est peu probable que le roi du Maroc soit assujetti à l'impôt mais il est sûr qu'il a le goût du secret. Quelques autres puissants doivent être dans le même cas. Cacher une opération peut s'expliquer par des raisons politiques ou des exigences de confidentialité de la part de sociétés qui retardent la diffusion d'une information stratégique.

D'autres titulaires de compte ont bien commis un délit fiscal et il est urgent qu'ils se mettent en règle, ce peut être de « petits » délinquants, soit qu'il s'agisse de sommes modestes ou d'opérations réalisées à leur insu dont ils ont bénéficié (héritage) Ils font partie du troupeau innombrable des fraudeurs lambda, même s'ils recourent à un procédé sophistiqué.

Bien sûr, les coquins et les gredins prolifèrent mais même dans ce cas l'hétérogénéité est forte : grands fraudeurs, trafiquants de drogue, d'armes ou de chair fraîche. N'oublions pas enfin les gendarmes qui sont des voleurs, les héros de la lutte contre la fraude qui fraudent, les Cahuzac et consorts ; cette catégorie est particulièrement pernicieuse dans une démocratie car elle est destructrice de civisme et aussi dans les pays à régime autoritaire (Chine).

Le risque de l'amalgame

Le risque de l'amalgame est que mettant en valeur des cas douteux, voire des « innocents » d'aucuns jettent le doute sur l'ensemble des révélations. La publication en première page du Monde du portrait de Bouteflika sera exploitée : le président algérien n'a pas de compte off-shore à la différence de ses proches, trop contents de cette méprise.

Un autre risque est la généralisation. Puisqu'une partie de l'élite fraude, elle est disqualifiée et ne peut prétendre fixer les règles de la vie commune. Le système étant pourri, il faut tout changer, diront les populistes. Cette généralisation est inexacte, même si la liste n'est pas entièrement publiée et s'il existe d'autres listes, à Panama, aux Iles Vierges et ailleurs.

Osons une vérité. L'histoire a montré que des hommes politiques corrompus pouvaient être des politiques efficaces rendant de grand service à leur pays. Talleyrand était un génie politique, dont l'immense fortune résultait pour une part de trahisons successives. Sous la quatrième république, Edgar Faure a rendu plus de services que bien des ministres MRP, époux fidèles et bons pères de familles.

Cela ne signifie pas que la lutte contre la corruption ne doive pas être poursuivie, voire amplifiée, tout en étant conscient que la politique et la morale ne relèvent pas du même ordre et que les populistes de tout bord sont aux aguets des faiblesses de la démocratie. Espérons que l'on saura rendra compte des réalités sans exagération ni passion.

 La liberté de mouvement des capitaux comme un nouveau droit de l'homme

Car on n'en a pas fini. La lutte sera longue. Pas seulement parce qu'il existe d'autres cabinets que Mossack Fonseca et d'autres paradis que Panama mais pour des raisons liées à la mondialisation financière, aux appétits illimités d'enrichissement et à la cupidité des hommes.

Rien n'est plus facile que de transférer par un clic à des milliers de kilomètres plusieurs centaines de millions de dollars. La liberté quasi-totale des mouvements de capitaux-devenue un nouveau droit de l'homme- n'est régulée par aucune autorité mondiale. La technique a été mise au service d'un capitalisme financier qui se caractérise par les exigences accrues des actionnaires. Ils réclament des taux de retour sur leurs capitaux investis très supérieurs à la croissance de l'économie et de la productivité. Pour les satisfaire, les dirigeants se lancent dans des opérations hasardeuses voire illégales. Leur objectif est d'augmenter la valeur boursière et la valeur actionnariale de leur société, qui détermine pour une grande part leur rémunération, notamment à travers les stock-options. Cette indexation des rémunérations doit s'appliquer aux dirigeants de la Société Générale...

Le bien supérieur? L'enrichissement individuel

La pression exercée sur les dirigeants pour qu'ils dégagent à court terme des bénéfices sans se soucier de l'avenir s'accompagne de la menace de renvoyer le président qui ne satisfait pas leur demande. Aussi les directions de banques et d'établissements financiers rechutent régulièrement après avoir comparé le risque de se faire prendre et celui d'être renvoyé.

Ce capitalisme, financier et apatride, influence aussi les comportements collectifs. La légitimité de l'impôt est de plus en plus contestée et l'affaiblissement des états souhaité. Le bien supérieur est l'enrichissement individuel, qui ne laisse plus de place aux exigences du bien commun. Cette contestation est forte dans un pays comme la France où la fiscalité est particulièrement lourde. Les critiques sur le mauvais usage des fonds publics, fondées quoique systématisées à l'excès, donnent un argument supplémentaire aux fraudeurs incorrigibles ou éventuels. Ne nous faisons pas d'illusions, les contribuables les plus imposés, sont, dans leur majorité, solidaires des titulaires de comptes off-shore, avec peut-être une pointe de jalousie.

 Les Etats-nations menacés de dislocation

Cela signifie t'il que la lutte est perdue d'avance ? Non ou tout au moins pas encore. Une lutte à mort, quoique discrète, est en cours entre les États nationaux et l'élite économique et financière mondialisée. Si les États nationaux ne réagissent pas, ils sont menacés à terme de dislocation. Ils ne pourront pas compenser les pertes massives de recettes résultant de la fraude et de l'évasion fiscale organisée par les grandes multinationales en augmentant les impôts de ceux qui ne peuvent ni frauder ni s'évader. Ils seraient balayés par les électeurs. Si la compensation de perte de recettes se fait par une réduction massive des dépenses sociales et des transferts, ils ne tiendront pas plus face à l'accumulation des mécontentements sociaux.

Quand les Américains montrent la voie à suivre

Les états nationaux se doivent de reprendre l'initiative. Les Etats-Unis ont montré que c'était possible. La majorité du Congrès, opposée à toute augmentation des impôts, cherche à récupérer des ressources par tous les moyens. Le président Barak Obama, fort de cet appui, s'est investi dans la lutte contre la fraude fiscale des particuliers. Il a obtenu de la Suisse qu'elle mette fin au secret bancaire et qu'elle communique la liste des citoyens américains détenant des comptes dans ce pays. Constatons qu'aucun ressortissant américain ne se trouve sur la liste du cabinet américain

Ce volontarisme a changé le rapport de forces à l'échelle internationale et à l'intérieur de l'OCDE, qui s'est mise à s'intéresser efficacement aux paradis fiscaux. Les résultats obtenus en France dans la lutte contre la fraude fiscale des particuliers, sont dus, d'abord, à la percée faite par les Etats-Unis.

S'agissant de l'évasion fiscale des grandes multinationales, le rapport de forces est plus incertain. Néanmoins, les Etats-Unis ne sont pas passifs. Ils cherchent à limiter la délocalisation des sièges et des profits dans les pays à faible fiscalité. L'Union Européenne, pour l'instant, suit leur grand allié plus qu'elle ne le précède. Un compromis entre les Etats nationaux et les GAFA n'est pas à exclure. Ces grandes firmes ne paieraient peut-être pas tout ce qu'elles devraient payer mais la plus grosse part. Ce serait un progrès majeur.

 La révolution électronique, une arme à double tranchant

L'action des lanceurs d'alerte et des médias, qui renouvelleront des opérations, type Panama Papers contribue au rééquilibrage du rapport de forces. La révolution électronique est une arme à double tranchant : elle sert la fraude et la dissimulation mais elle sert aussi la lutte contre la fraude et la dissimulation, avec l'aide des opinions publiques. Le résultat de ce match est incertain. Pour renforcer le camp des citoyens et les défenseurs des états démocratiques, il faut encourager-y compris financièrement- les lanceurs d'alerte et les protéger, ce qui n'est pas le cas actuellement, quoiqu'on écrive. Des équipes de journalistes doivent se spécialiser dans ce nouveau type d'investigation, en faisant preuve d'impartialité et de sérénité et en veillant à une exactitude sans failles. Il suffirait qu'une opération dérape pour compromettre durablement ce type de recherche. Les autorités de régulation peuvent être un peu plus efficaces. Le personnel politique ne doit pas échapper aux contrôles et soumis à des règles de transparence

Mais tant que les structures du capitalisme financier mondialisé resteront en l'état, les progrès seront fragiles.

Pierre-Yves Cossé

Avril 2016

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Commentaires 3
à écrit le 11/04/2016 à 14:45
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Merci pour cet article argumenté et instructif. Juste un rappel cité dans le site transparency-international.org la France est classée au 26 éme rang pour la corruption dans le monde, derrière les Bahamas et l'Estonie. Aussi inquiétant que les Pana...

à écrit le 11/04/2016 à 14:23
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Bonjour, merci pour l'analyse. Ne faut il pas également tenir compte des facteurs confiance et équité: confiance car je doute que nos gouvernants fassent mieux avec plus. Ils auraient juste plus d'argent à gâcher et à frauder eux mêmes; équité car on...

à écrit le 11/04/2016 à 10:05
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Cela ne va pas s'arranger tant que la fiscalité sera vue sous l'angle d'une contrainte européiste plutôt qu'un effort collectif souverain!

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